Nouvel article

Enterrement de Cheik El Haddad ( Cheikh Azziz ndlr)

L’ enfouissement clandestin d’un amnistié algérien. – Persécutions injustes et maladroites.- Comment on crée des rebelles

Vers le milieu du mois de juillet, un arabe d’ une soixantaine d’ année, à la démarche majestueuse, au regard doux et empreint de bonté, se présentait dans nos bureaux l’ ancien Caïd des Amouchas.Aziz Ben Cheik El Haddad , qui arrivait de Djedda ou depuis plusieurs années, il était attaché du consulat de France. Aziz venait nous remercier de la campagne que nous avions menée en faveur de l’ amnistie des insurgés de 1871.

Il comptait prendre le prochain paquebot et regagner le sol natal; ou l’ attendait impatiemment son fils Salah qu’il n’avait pas vu depuis un quart de siècle.

Malheureusement dans le voyage de Djeddah à Paris , il lui était venu des anthrax, qui s’aggraverent rapidement. Se sentant mourir, Aziz demanda son fils pour l’ embrasser au moins une dernière fois Celui ci , interprète de la commune mixte d’Aurès sollicita l’autorisation de partir pour Paris.

Sous notre république opportunarde- plus de cent ans après la Révolution – l’ administration tutélaire n’ admet pas , en effetqu’un Arabe quitte l’Algérie sans son autorisation.

Eh bien! le croirait -on ? Le gouverneur général Cambon, puis le ministre de l’interieur Leygues, auquel s’adressa le malheureux Salah, lui refusèrent la permission qu’il réclamait.

Il ne l’obtint que lorsque l’ancien Cheik eut fermé les yeux et arriva juste pour présider au transport du cercueil.

C’est ici que l’affaire se corse. Salah voulait inhumer le defunt dans la cimetière de la famille, àSeddouk.On l’en empêcha par mesure de sûreté générale et on dirigea clandestinement le corps sur Philippe ville puis sur Constantine.

Les journaux algériens nous apprennent que l’ inhumation eut lieu dans la plus grand mystère, sous la surveillance de la police et des gendarmes.

Ces précautions n’empecherent pas quelques indigènes d’ assisterà la cérémonie; mais au sortir du cimetière on les arreta…Ceux d’ entre eux qui n’ étaient pas munis d’ un permis de voyage furent signalés à la préfecture.

Salah fut relaxé, mais on lui “conseilla” parait il dans son propre intérêt, de quitter le département de Constantine sans tarder.

Ainsi voila un malheureux qui n’ avait commis aucune faute qui faisait au contraire tout son possible pour dissiper les préventions qu ‘on pouvait avoir contre lui.Il prodiguait les marques de sa fidélité et de sa soumission. Et on le traitait comme un rebelle!

Nous nous souvenons encore de la lettre touchante écrite par cet ancien élève du lycée d’ Alger à M.le sénateur Isaac après le vote de l’ amnistie:

La devise:”La France protège les Musulmans” est , disait il, aujourd’hui complètement réalisée par le retour dans leurs foyers de ses vieux insurgés algériens, qui ne demandent qu ‘à montrer leur repentir sincère et leur dévouement à la France .Soyez persuadé monsieur le sénateur, que la France trouvera en nous des sujets fidèles et des serviteurs dévoués.La loi d’ amnistie appliquée aux insurgés algériens, fera conquérirà la France des milliers de coeurs.Vive le France.Vive la République !

Et c’ est l’ homme qui manifestait il ya quelques mois , de semblables sentiments que les fonctionnaires algériens se permettent de persécuter, au nom de nous ne savons quels intérêts administratifs.

L’ attitude de l’ administration en toute cette affaire a soulevé les protestations unanimes de la presse algérienne.La Dépêche ,généralement peu tendre pour les Arabes,cependant , a formulé elle-me me d’ amères et justes critiques sur l’ enfouissement clandestin d’ Aziz.

Il ne sera plus question de Cheikh Aziz dites- vous ? Quelle erreur !Oui ,sans doute on l’ aurait oublié si jusqu ‘après sa mort il n’ avaitété l’ objet de tracasseries policières, bonnes seulement à entourer sa mémoire d’ une véritable auréole de martyr religieux.

Ainsi après soixante cinq années d’ occupation, nous en sommes encore à redouter les manifestations qui pourraient se produire à lo’occasion de l’enterrement d’un chef indigène que les lois françaises ont frappé et auquel les loi françaises- trouvant qu’il avait suffisamment expié ses fautes- ont fait grace.

Si Cheikh Aziz eut été inhumé à Seddouk comme ses coreligionnaires le desiraient, quel mal y aurait-il à cela ?

N’étions-nous donc pas assez puissants pour maintenir l’ordre, si toutefois il est vrai que les indigènesaient jamais songé à se servir de cette ceremonie comme d’un motif à désordre ?

Il est clair que l’administration a pris toutes les précautions pour faire du tombeau d’Aziz un pbjet de veneration.

C’est ainsi que se creent les légendes des saints.C’est ainsi que l’on excite le fanatisme musulman.

Si les autres Arabes amnistiés comme Aziz se decident à rentrer, il est à craindre, étant donné ce qui se passe, qu’ils ne soint beaucoup plus malheureux encore en Algérie qu’en Nouvelle- Caledonie.

Article paru dans la journal “l’INTRANSIGEANT” du 01 octobre 1895