Algériens du Pacifique, les déportés de Nouvelle-Calédonie

Algériens du Pacifique, les déportés de Nouvelle-Calédonie”,
de Mehdi Lallaoui
La traversée de l’enfer
Par Hamid Arab
Source : Liberté du 6 juin 2001

L’idée de déporter tout le peuple algérien, ou une partie, a germé dans la tête de certains officiers supérieurs français bien avant 1871.

Le naufrage de la mémoire concernant les déportés du soulèvement de 1871 et de celui des Aurès, est vraiment abyssal. Ainsi, comment expliquer que les rares sources historiques ayant fait référence à eux se résument aux écrits produits par les déportés de la Commune et quelques rares correspondances officielles.

À ce titre, le silence entretenu sur les conditions inhumaines qu’ont endurées ces hommes n’est nullement innocent, surtout si l’on sait que l’idée de déporter tout le peuple algérien, ou une partie, a germé de la tête de certains officiers supérieurs français bien avant 1871.

Ainsi, le colonel Montagnac, voulait déporter tous les Algériens aux îles Marquises ! Rien que ça ! comme si les extermination massives et les enfumades ne leur suffisaient pas.

Pour en revenir au livre publié par Mehdi Lallaoui chez Zyriab, Algériens du Pacifique, les déportés de Nouvelle-Calédonie, il constitue avant tout un document unique en la matière dans la mesure où il nous retrace très simplement le chemin parcouru et les affres subis par ces Algériens condamnés à une réclusion hors du temps et de l’espace.

Pour retrouver le bout du fil et dérouler la pelote de l’histoire de ces exilés du bout du monde, Mehdi Lallaoui a eu à chercher dans les récits et journaux de leurs compagnons d’infortune, les vaincus des barricades de la commune de Paris qui écrivirent beaucoup sur leur déportation.

Le séisme révolutionnaire commence un certain 8 avril 1871 à Seddouk, à la faveur de la rencontre du grand maître de la confrérie Rahmania, Cheikh Ahaddad et El Mokrani.

Ensemble, ils appellent à la révolte contre le spoliateur français. Les premiers mois, El Mokrani et Cheikh Aziz Ben Ahaddad allaient de victoire en victoire. Devant la formidable ampleur que prenait ce soulèvement, les militaires français ont vite fait de battre le rappel des contingents partis en France mater les communards et renversent, par là même, la vapeur.

La répression était terrible. Vaincus, les révoltés subissent le revers morbide de la défaite. Quelque 130 chefs de la rébellion ou de grandes famille sont condamnés à la déportation en Nouvelle-Calédonie.

Cette sentence est restée proverbiale dans l’imaginaire populaire algérien. A ce stade du livre, Mehdi Lallaoui va au fond de son récit et raconte comment la machine militaire française a décimé des milliers d’Algériens et envoyé les autres à l’autre bout du globe. “La nuit approche, sombres et silencieux les vaincus d’Algérie et le vaincu de la Commune, assis assis côte à côte, pensaient à eux, à ceux qu’ils laissaient, à l’effondrement de leur existence, à l’anéantissement de leur rêve de liberté…” écrit Jean Alleman, déporté de la Commune, qui partagea à Toulon la même cellule que les insurgés de 1871. Les déportés sont acheminés à partir du Fort Quélern à Brest ou de Toulon. La traversée de deux océans et de plusieurs mers sera fatale pour certains.

Pour illustrer les conditions éprouvantes dans lesquelles ils ont “voyagé” , Mehdi Lallaoui reprend, à juste titre, le carnet de bord du médecin major Dubuquois :
” 1 405 personnes à bord, 320 condamnés dont 39 Kabyles (…)”. Sur ces derniers “il y a 5 décès”. Du fait d’une nourriture inadéquate, car les preux chevaliers algériens pour des considérations religieuses ne mangeaient pas comme les autres, Le scorbut et la gangrène ont fait des ravages parmi eux. “Il se sont volontairement laissés mourir”, écrit Dubuquois.

Le désarroi de ces hommes fut incommensurable ; à mesure qu’ils s’éloignaient de leur patrie, semblait s’éteindre en eux la flamme de la vie. Après 140 jours environ, une nouvelle vie les attendait en Nouvelle-Calédonie. Aux côtés des droits communs et des communards, ils se réorganisent. “Un matin, dans les premiers temps de la déportation, nous vîmes arriver dans de grands burnous blancs, des Arabes déportés pour s’être eux aussi soulevés contre l’oppression”, écrivain Louise Michel dans ses mémoires. Pour ces hommes l’enfer n’était pas loin.

Cependant, des faits peu glorieux seront commis par les héros de 1871, ce que l’auteur n’essayera pas d’expliquer. En effet, lorsqu’en 1878 éclate l’insurrection canaque, Boumezrag Mokrani avec quelque “40 condamnés arabes” choisit de s’aligner avec son oppresseur pour réprimer la révolte canaque.

L’auteur reviendra longuement sur le rôle joué par les communards après leur amnistie afin de faire bénéficier les Algériens des mêmes droits qu’eux. Mais peine perdue. Si certains sont restés là-bas et y ont pris racines, Aziz Ben Ahaddad prit la fuite en direction de Sydney avant de rejoindre la Mecque.

Le hasard de l’histoire a fait qu’”au moment où s’embarquèrent de Nouméa une poignée de déportés”, le 22 août 1895, Aziz Ben Ahaddad s’éteint à Paris. Quant à Boumezrag Mokrani, il regagnera le pays en 1904. Avec ce livre, c’est immersion totale dans l’une des pages les plus sanglantes de notre pays. Algériens du pacifique a le mérite, et non des moindres, de lever un coin du voile qui entoure l’histoire nationale.

Hamid Arab