Cheikh Ahaddad retrouve sa terre


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Jeudi, il est neuf heures du matin, une grande foule est regroupée à proximité du siège de l’APC de Seddouk, une commune située à une cinquantaine de kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Béjaïa, pour attendre l’arrivée du cortège qui devait ramener les restes des corps de cheikh Ahaddad  et de ses enfants de Constantine.

est une journée pas ordinaire pour les habitants de cette commune, pour les Béjaouis et pour tous les connaisseurs de cette figure emblématique de l’histoire de l’Algérie. La réinhumation du corps du principal artisan de l’insurrection populaire de 1871 est un événement grandiose qui mérite une célébration et une commémoration à la hauteur de son nom et de ses réalisations ayant capté l’intérêt de plusieurs générations de personnes. La commune de Seddouk s’est préparée pour célébrer cette journée inoubliable.

Les traces d’opérations récentes de revêtement des routes sont encore visibles, tout comme la propreté des axes routiers et de toutes les structures mobilisés pour accueillir les invités. Chants patriotiques, récitals religieux et autres chansons populaires relatant les vertus de cette grande personnalité ont été diffusées au siège de la commune.

Des banderoles et des affiches sont brandies partout pour rappeler cette journée commémorative symbolisant une importante partie de la révolution algérienne, en l’occurrence la révolution populaire.Les milliers de personnes et les délégations, qui affluent à cette commune depuis les premières heures de la journée, suivaient l’information sur l’arrivée du cortège minute après minute.

Il est 10h, l’émotion atteint son comble quant le cortège franchit l’entrée de la commune : des cris, des pleurs et de appels «Allah Akbar» sont lancés de partout. Quelques minutes plus tard, le cortège officiel prend la route de la demeure du cheikh, située à Seddouk Oufella, suivi par une centaine de voitures.

Quelques minutes plus tard, tout le monde s’est retrouvé à l’entrée du village. Sa famille y vit encore. Le dispositif sécuritaire, composé des trois corps, police, gendarmerie et Protection civile, était mobilisé sur place. Un comité d’organisation composé des membres de la wilaya, de la commune et de jeunes de Seddouk était aussi à pied d’œuvre pour veiller au bon déroulement de la cérémonie d’accueil des restes des corps des défunts.

«Allah, Allah, c’est cheikh qui a remporté la victoire»

Les éléments de la Protection civile ont retiré les trois cercueils recouverts de l’emblème national. Une foule composée de milliers de personnes accompagna les trois corps sur un parcours de près de cinq kilomètres. Les jeunes brandissant le drapeau algérien étaient au devant de la scène alors que les plus âgés se sont mis derrière le catafalque.

La foule se renforce et le nombre de personnes grandit. Au fur et à mesure qu’elle avance, elle draine du monde, des youyous, sollicite encore la «baraka» que le cheikh donna de son vivant et donne encore, même après sa mort.

Des récitals religieux en langue amazighe dédiés exclusivement à la mémoire de cheikh Ahaddad, ou «achouik», sont interprétés par les vieux sages de cette commune que les jeunes et les enfants reprenaient au fur et à mesure et tout au long du trajet.
«Allah, Allah, c’est cheikh qui a remporté la victoire, Allah Allah, une personne ne suffit pas pour raconter la grandeur de ce qui s’est passé», «Allah, Allah, c’est cheikh qui l’a remporté, Allah Allah, ne vous inquiétez pas,

c’est de Seddouk que le soleil va se lever», «Allah, Allah, pardonnez-lui, c’est lui le pilier de la religion. Allah, Allah, Mohamed est Ton Prophète choisi dans le Coran», «Allah, Allah, il adorait la prière, la zakat et le hadj. Allah, Allah, son nom est très cher pour nous», «Allah, Allah, il a fait du bien en Ton Nom et pour Toi. Allah, Allah, Pardonne-nous nos erreurs et Réduit notre hissab.»

Le récital est encore plus long, les jeunes et moins jeunes étaient tous ravis de faire partie de cette foule. Ils répétaient les extraits avec une parfaite connaissance des paroles et de leur symbolique. Les femmes de Seddouk ont accueilli les corps avec des youyous et beaucoup de larmes. Les jeunes ont montré une grande fierté. C’est pour eux une grande journée, une fête, un événement inoubliable et surtout une autre victoire. «Je suis arrivé à Seddouk à 6h.

Nous sommes tous contents, il est enfin chez sa famille et parmi les siens. Cela a toujours été notre souhait de pouvoir ramener son corps ici à Seddouk, on s’occupera bien de lui», dira un homme, la quarantaine. «Je connais bien ce village et la mosquée du cheikh, j’ai travaillé comme volontaire plusieurs années. Il n’y a pas que moi, beaucoup de gens viennent et travaillent dans cette mosquée, elle ne se vide jamais», dira un autre. «Ailleurs, il était toujours en terre d’Algérie, mais là, il est chez lui, c’est mieux pour nous, pour sa famille et pour lui aussi.»

Les trois cercueils ont été exposés à Dar El Ikhouane pour permettre aux gens de rendre un dernier hommage avant l’enterrement qui a eu lieu hier après la prière du vendredi au mausolée du cheikh, édifié spécialement pour cet événement.
Les délégations sont venues des 48 wilayas du pays pour participer à la commémoration de cet événement. Certains sont venus il y a plusieurs jours pour contribuer à sa préparation. D’autres délégations ont continué à affluer jusqu’à la soirée du jeudi pour assister à la prière du vendredi et à l’enterrement.

Des monuments pour la mémoire
La réinhumation du corps de cheikh Ahaddad, de son vrai nom Mohand Ameziane Ben Ali El Haddad, a été faite après une opération de restauration de plusieurs édifices qu’il a lui-même bâtis de son vivant. La mémoire du chef spirituel de la tariqa rahmania a été honorée par la réalisation de plusieurs ouvrages historiques et patrimoniaux au style architectural oriental. «La restauration de ce site a été entamée depuis plusieurs années. Mais les travaux ont connu une cadence plus accélérée ces deux dernières années», dira Nacer Mourad, directeur de la culture de la wilaya de Béjaïa.

Cet ensemble architectural, composé d’une salle de prière, de Dar El Ikhouane, de la mosquée et du mausolée, sera, selon le même responsable, dédié à être un centre de recherche et de diffusion culturelle. «Nous allons réaliser une bibliothèque, un musée, une salle de conférences, ce sera un espace de rencontre pour perpétuer les traditions, les habitudes, le nationalisme et le courage de cheikh Ahaddad.» «Jusqu’à hier, les gens ne croyaient pas au transfert de son corps de Constantine à sa demeure.

Aujourd’hui, ceci ne relève plus du rêve mais de la réalité.» Toutes ces structures seront classées patrimoine architectural après le travail qu’effectue actuellement une équipe d’architectes et de chercheurs en la matière. Le projet, dont le coût est estimé à près de 20 milliards de centimes, a été réalisé par une entreprise algérienne.

Nouria Bourihane