Déportés algériens de Nouvelle-Calédonie : Aziz Ben Cheikh El Haddad, l’insoumis

 Aziz Ben cheikh El Haddad est le fils cadet du grand leader de la confrérie des Rahmania, Mohand Améziane Ben cheikh El Haddad. Il est né en 1841 à Seddouk Oufella dans la tribu des Aït Aïdel et il était caïd des Amoucha.

Aziz et son frère aîné M’hamed réussissent à persuader leur père de participer à l’insurrection de 1871, initiée par le bachaga El Mokrani contre l’occupant français. Une fois l’alliance avec les El Mokrani scellée, le 8 avril 1871 au marché de M’cisna de Seddouk, Mohand Améziane lance son appel au djihad. Cet appel fut bien accepté par la population et une bonne partie de la Kabylie s’est jointe à cette guerre sainte. Le prestige et la renommée du père y sont pour beaucoup, son âge avancé et ses obligations religieuses ne lui permettant pas de prendre la tête de la guerre, Aziz avait donc toutes les qualités requises pour assurer le leadership de ce soulèvement. C’était un homme politique respecté, cultivé, profondément religieux et surtout un grand chef de guerre. Et c’est tout naturellement qu’on lui confia la tête du soulèvement de cette partie de la Kabylie.

Aziz Ben cheikh El Haddad le chef de guerre

Cette période de l’histoire de l’Algérie a été peu prolifique en écrits. Durant cette période, la France subissait l’humiliation de la défaite et de l’occupation d’une partie de son territoire par la Prusse, une instabilité gouvernementale chronique et pire, les événements graves de la commune de Paris, une guerre civile sanglante qui fit des milliers de morts et de déportés. Compte tenu de l’importance de ces événements, les historiens ne se sont pas beaucoup intéressés à l’histoire du début de la colonisation française de l’Algérie. L’histoire a été principalement écrite par les vainqueurs, à savoir les militaires. Elle ne pouvait être neutre. le commandant Rinn, qui a lui-même participé à cette guerre, a laissé beaucoup d’écrits à ce sujet. Un grand nombre de nos historiens se sont inspirés de ces écrits, les ont analysés et dans certains cas rétabli des vérités historiques. L’insurrection se met en place rapidement, Aziz à la tête de milliers d’hommes occupe le terrain. Face à un ennemi puissamment armé et en nombre nettement supérieur, il opte pour un harcèlement des troupes françaises, tout en veillant à propager l’insurrection aux autres régions. Son rayon d’action couvre la vallée de la Soummam, les Babors et jusqu’à la région sétifienne. Avec pour seule arme sa foi islamique, il ne réussit pas à convaincre les grandes familles acquises à la cause française et il n’a pas, non plus, pu fournir l’armement nécessaire à ses combattants. Devant le nombre élevé de troupes françaises engagées dans cette répression, les tribus kabyles finirent pas déposer les armes une à une. Aziz n’avait pas d’autre choix que de se rendre avec les honneurs au général Lallemand à Aït Hichem le 30 juin 1871.

Jugement et déportation en Nouvelle-Calédonie

Il sera jugé en même temps que son père, son frère M’hamed et tous les autres chefs du soulèvement de 1871, tels que Boumezrag Mokrani. Le procès eut lieu au tribunal de grande instance de Constantine, il durera du 10 mars au 21 avril 1873, il sera défendu par Me Léon Seror du barreau de Constantine. l’issue de ce procès ne faisait nul doute, il sera condamné à mort ainsi que son frère M’hamed. Détenteur de la Légion d’honneur, sa peine sera commuée en déportation au bagne de Nouvelle-Calédonie. Leur père sera, lui, condamné à 5 ans de prison, il décédera quelques jours plus tard dans la prison du Coudiat de Constantine. Durant son procès, Aziz remet aux membres de la cour un mémoire d’une centaine de pages. Il expose, entre autres, les raisons de ce soulèvement, dont voici un extrait : « Quant à la prison, à l’opprobre, à la mort, à la spoliation, à l’incendie et aux coups, tout cela ne ramène pas les gens à l’obéissance : peut être même ces choses augmentent-elles dans le cœur des gens et de leur suite, la haine et l’inimitié contre le gouvernement. Personne, du reste, ne peut être satisfait du trépas de son frère, de son père ou de son fils.

Quant à ceux que l’on retient loin de leur patrie, le cœur de leurs proches meurt d’angoisse pour eux, à cause de la longueur de leur séparation. On finit par les croire morts, car on ne peut s’occuper autant des absents que de ceux qui sont présents. Or, en l’année 1871, combien de gens se trouvaient en prison ou en gage entre les mains du gouvernement pour faits de révolte s’étant produits dans les années antérieures, dont les tribus, les parents et les frères semblaient ne pas s’occuper ? Et qui sait, si le plus grand nombre de tribus insurgées dans l’année 1871 ne se composait pas de parents et de gens détenus en prison, qui se seraient révoltés contre le gouvernement avec réflexion exclusivement à tous les autres, parce que leur cœur était déchiré de ce que leurs frères étaient en prison ou avaient été mis à mort. Et alors même que la prison eut été au loin, les tribus de ces gens détenus en France, ont peut-être été les premières à se lancer dans la révolte contre le gouvernement dans l’espoir de délivrer leurs frères, leurs proches et leurs fils. » En nouvelle-Calédonie, leur terre d’asile, ils côtoieront les déportés français condamnés suite aux événements de la commune de Paris et qui seront leurs compagnons d’infortune pendant de longues années. Sitôt libérés, quelques-uns de ces ex-déportés français prendront leur défense afin de les faire profiter des mêmes lois d’amnistie qui leur ont permis de recouvrer leur liberté. Les plus connus sont Louise Michel, une des grandes figures des événements de la commune de Paris et le célèbre journaliste et homme politique Henri Rochefort dont une rue à proximité de notre Ambassade à Paris porte le nom.

Evasion et mort de Aziz Ben cheikh El Haddad

Aziz, dépité par tant d’injustice décide de s’évader de Nouvelle-Calédonie. Le 20 mars 1874, Henri Rochefort et cinq de ses camarades réussiront à s’évader de la Nouvelle-Calédonie en offrant une grosse somme d’argent au commandant d’un bateau australien et ainsi acheter sa complicité. Cette première grande évasion exaspéra l’administration qui décidera d’interdire la pêche, le ramassage de bois à brûler et redoubla de dureté les conditions de vie des déportés, rendant toute tentative d’évasion très difficile mais surtout risquée.Toutes ces restrictions et difficultés n’ont pas découragé Aziz, en 1881 il réussit à s’évader pour rejoindre l’Australie, l’Egypte et enfin l’Arabie Saoudite. Son frère M’hamed fera de même, il s’évadera de Nouvelle-Calédonie le 5 décembre 1886 en utilisant de faux papiers. Après la promulgation des lois d’amnistie autorisant les déportés algériens à quitter la Nouvelle-Calédonie pour ceux qui le désirent, Aziz se rend à Paris, pour demander la restitution des biens de sa famille spoliés par l’occupant. Il profite de l’occasion pour rendre visite à un ami de détention le communard commandant Eugène Mourot, il tombe malade et décède le 22 août 1895 dans les bras de ce dernier, à son domicile situé au 45 boulevard Ménilmontant à Paris, juste en face de l’actuel cimetière du Père-Lachaise. Une précision, la pierre tombale mentionne la date du 21 août 1895 alors que dans l’acte de décès elle est du 22 août 1895, le nom et la signature d’Eugène Mourot figurent dans cet acte en tant que témoin.

Les anciens déportés communards se cotiseront pour rapatrier son corps en Algérie. Il sera enterré à côté de son défunt père dans le cimetière de Constantine et non dans celui de Sidi Mabrouk comme mentionné dans la plupart des articles publiés à ce sujet en Algérie et à l’étranger. En guise de conclusion, je voudrais rendre hommage à Boualem Bessaïh pour sa contribution à l’écriture de l’histoire algérienne et en particulier celle de l’épopée de l’Emir Abdelkader et celle du cheikh Bouamama. Dans une présentation d’un de ses livres, il écrit notamment : « Si la lecture de ce message pourra parvenir à la jeunesse de mon pays, que le jeune âge ou la naissance tardive ont privé du combat pour l’indépendance, mon ambition sera comblée. »

Par Rachid Sellal