Seddouk ouffella : Terre d’accueil et de légende

Terre d’accueil et de légende, ancrée comme une ventouse au flanc escarpé de la montagne d’Achtoug, naturellement tourné vers le Djurdjura, Seddouk Oufella est sans nul doute ce beau village qui offre tous les plaisirs d’un pèlerinage et ceux qui l’on visité vous le diront. Pourquoi donc s’empêcher d’une randonnée pédestre au village des maréchal-ferrants (Ihaddaden) et de marcher à 800 m sur des mamelons aiguisés, en traversant des prairies et de petites pinèdes bienfaitrices. Les eaux qui chantent de partout sortent directement des entrailles de la terre dont la température ne descend pas audessous de 20° et même quand il gèle en hiver elles ont toutes les vertus curatives pour vous remettre d’aplomb.

Terre d’accueil et de légende aux sites historiques et touristiques splendides et exceptionnels, le village de Seddouk Oufella est sans aucun doute une localité aux sources d’eau limpide, à la végétation verdoyante et à l’artisanat traditionnel par excellence qui offre en effet aux visiteurs ses richesses typiques et ardentes et témoigne d’une histoire glorieuse dont il est le porte-drapeau. Nous commencerons par ce refrain d’une chanson du chanteur local Azerrour consacrée à ce village (son village) : « Seddou, ton nom est connu : il a traversé les mers et est entendu des quatre coins de la planète ».

Sur le chemin de la Tarika Rahmania
En effet, Seddouk Oufella n’a nullement besoin de publicité pour se faire connaître et la raison est toute simple du fait qu’il est mythique et connu et son nom a certainement été rencontré par beaucoup dans les livres, manuels scolaires, revues de presse et autres consacré à l’histoire de la Révolution d’Avril 1871 déclenchée par son enfant Cheikh Med Ameziane Belhaddad et menée par ses deux fils Aziz et M’hand, conjointement avec les deux frêres El Moktrani d’Ath Abbas. Ouvrons donc bien les yeux pour être projetés à plus d’un siècle d’histoire : celle d’un homme érudit et hors du commun, avide du savoir et imprégné de la fibre nationaliste dès son jeune âge, qui a eu le mérite de fonder une médersa où il enseignait le coran et les sciences à des étudiants venant des quatre coins du pays. Cet homme d’une grande droiture était désigné à la tête de la non moins connue Tarika Rahmania, une puissante organisation qu’il dirigea pendant 14 ans (1857/1871) laquelle comptait plus de 100 zaouïas travers tout le pays et environ 300.000 fidèles. Il est utile de dire aussi que ce n’est guère par hasard qu’il fut consulté pour lancer un appel « au djihad » qui soulèvera les masses populaires, lesquelles, animées d’une foi inébranlable, ont agi comme un seul homme pour chasser par les armes les soldats du maréchal Randon, mais aussi pour son intelligence incomparable, son charisme et bien d’autres qualités qu’il recèle. Répondant aux voeux de son entourage, il réunira un certain 8 avril 1871 au marché de Taghzouit connu communément sous le nom de Souk El Abtal (marché des héros), 1 200 fidèles qu’il exhorta à se soulever contre l’ennemi juré qui s’empare par la force des meilleurs terres et terroirs. En homme pieux, après la prière du d’hor qu’il a dirigée, il lèvera haut les bras pour implorer dieu à les aider dans leur détermination à vaincre ou mourir, avant qu’il ne jette sa canne par terre en prononçant cette phrase pleine de sens : « Nous jetterons l’ennemi à la mer comme j’ai jeté ma canne par terre ». Le plus lamentable dans tout cela, cette illustre figure de proue de l’histoire d’une Algérie combattante ne possède même pas dans sa commune, sa wilaya ou son pays une rue, une université ou un aéroport baptisé en son nom. Néanmoins, l’État en guise de reconnaissance, a accordé une petite subvention d’environ 70 millions de dinars à ce village pour la reconstruction des édifices tombés en ruines et la construction d’un mausolée devant abriter les ossements du cheikh et de son fils, lesquels seront transférés un jour proche du cimetière populaire de Constantine où ils reposaient depuis leur décès. Autre fait marquant : après l’indépendance, les populations le vénéraient encore et l’adulaient comme on adule un saint en lui vouant beaucoup de respect. Comme première action lancée, une mobilisation des fidèles venus même de Tizi Ouzou et d’Alger se conjuguant les efforts avec ceux de la région pour la reconstruction de sa demeure démolie en partie par l’armée française et les forces de la nature qui avec les effets du temps, ont fait le resté. Seddouk Oufella connaissait à cette période une animation fébrile. La journée, comme des fourmis travailleuses, les fidèles travaillent d’arrache- pied en ouvrant plusieurs chantiers et, le soir, comme des cigales d’une seule famille, ils se rassemblent en un endroit choisi et font la fête conviviale et festive qui dure parfois jusqu’à des heures tardives de la nuit. Les pouvoirs publics ne sont pas restés en marge de cette dynamique citoyenne. A l’achèvement des travaux coïncidant avec le 1er centenaire de cette illustre Révolution, une fête grandiose qui a duré un mois a été organisée par le maire de l’époque en l’occurrence feu Bencheikh Abderrahmane, que dieu ait son âme, lequel a fait venir quatre ministres à Seddouk Oufella. De mémoire de jeune enfant, un homme de la localité raconte que le village a accueilli’ un cortège de plus d’une dizaine de cars qui avaient à leur bord des centaines de pèlerins. Et le village a eu du mal à contenir tout ce beau monde composé d’hommes, de femmes, de vieux et de jeunes. C’est aussi le village de l’héroïne Keltoum Oulmouhoub, une jeune femme qui a bravé la peur durant la guerre de libération quand un harki a voulu abuser d’elle. Armée d’un courage que peu d’hommes possèdent, elle lui arrache le fusil et lui assène un coup de crosse sur le visage qui le fera tituber et s’il a eu la vie sauve c’est tout simplement parce qu’elle ne savait pas se servir d’un fusil. Par contre son bourreau, revenant à lui, récupéra son fusil et tout lâche qu’il est il n’a pas hésité un seul instant à l’assassiner froidement. Les jeunes de son village, ont créé pour immortaliser son combat une association de scouts musulmans portant son nom. 

Un gîte rural d’une beauté exceptionnelle
C’est le village aussi de Benrabia Malek dit Zamit, un héros de la bataille d’Alger aux côtés de Ali la pointe, mort l’arme à la main dès le déclenchement de la Révolution lors d’une embuscade tendue aux paras français au centre d’Alger, plus précisément à El Biar. En guise de reconnaissance pour ce chahid mort à la fleur de l’âge, la placette de la mairie de Bab Ezzouar à Alger a été baptisée en son nom. C’est, par ailleurs, le village qui a enfanté une pléiade de chanteurs amateurs, 5 au total, à leur tête le doyen Azerzour qui a fait fureur dans la région durant les années 80 avec sa célèbre chanson « Throuh thaâzizth ournamzar » puis il a créé une chorale qui a tiré son épingle du jeu grâce à la chanson d’unification des rangs, intitulée « Idhourar lekvayel dhine iyalane wathmathniw ». Au bonheur de ses fans, après quelques années de retrait, il revient avec un nouvel album mis sur le marché il y a quelques jours et qui se vend comme des petits pains, nostalgie oblige. Mais Seddouk Oufella n’est pas seulement le berceau de l’histoire, c’est aussi un beau village propret de par ses ruelles bétonnées et débarrassées de la gadoue d’hiver et la poussière de l’été, fleuri par les jardins bien irrigués même en été grâce au regorgement d’eau sortant de la terre en différents endroits, et enfin cet collé comme une ventouse au flanc abrupt de la montagne à quelque 800 mètres d’altitude, ce qui le fait ressembler à un gite rural d’une beauté exceptionnelle. En hiver, il créait des jaloux parmi le pâté de villages situés en contrebas. Pour preuve, en ce début de printemps, une saison qui s’annonce des plus belles, la neige qui a drapé les cimes de la montagne couvre également ce village niché à proximité du sommet formant un panorama splendide qui caresse le regard qui dépayse la vue et impressionne l’esprit. Il a aussi une vue imprenable qui permet d’embrasser toute la plaine de la haute vallée de la Soummam, le regard remonte tout le flanc Est du Djurdjura, situé juste en face, pour ne s’arrêter que sur les cimes enveloppées d’un burnous blanc. Pour ceux qui ne le savent pas encore, il se situe en Basse Kabylie, au coeur de la haute vallée de la Soummam relevant de la commune de Seddouk, dans la wilaya de Béjaïa. Pour s’y rendre, on n’a nullement besoin d’un guide ou d’une carte de géographie de la région, puisque tous les chemins mènent à lui. Le CW141 en partance d’Akbou et la RN 74 à partir de Takrietz se rencontrent au quatre chemins de Taghouit pour continuer sur une route en ascension, large, bitumée, serpentée et bordée d’amandiers fleuris, lesquels bordant des régiments d’oliviers agréables à voir. Nous sommes dans la région de l’huile d’olive et des paysages enchanteurs à vous couper le souffle. Bercée par ces panoramas verdoyants, au détour d’un virage on tombe nez à nez avec la medersa que Belhaddad a fondée en 1850, laquelle est devenue après l’Indépendance une école primaire qui porte toujours son nom. Quelques kilomètres plus loin, un grand panneau d’information, sous forme d’un arc, sur lequel est écrit “Village historique Seddouk Oufella”, oriente les visiteurs sur la destination à prendre pour se rendre dans cette bourgade pétrie d’histoire. Nous prenons alors un chemin étroit, serpenté que bordent des maisons pavillonnaires dont la quasi-totalité est assortie de jardins fleuris pullulant d’arbres fruitiers dont les senteurs odorantes qui s’y dégagent chatouillent les narines. Il est facile de comprendre pourquoi cheikh Belhaddad a choisi y endroit pour élire domicile et pourquoi encore il a laissé célèbre adage : « Si les voleurs étaient intelligents, ils ne voleront pas les récoltes mais le fumier qui leur donnera tout le temps des récoltes ». Parce que l’endroit béni est une mamelle nourricière des habitants. on dit qu’il n’y a pas une seule famille ne possédant pas son jardin dont elle tire fruits et légumes. L’endroit est magique avec une lignée de peupliers gigantesques aux feuilles multicolores (vertes, jaunes, etc.). Delà, on entend le chantonnement d’eau et on sent la fraicheur qui s’y dégage. On ne peut s’empêcher de s’arrêter pour saluer comme il se doit la foule et pour aussi se désaltérer d’une eau limpide et minérale sortie de deux siphons à grand débit. Il faut se frayer un chemin parmi les jerricans entassés par terre attendant d’être remplis. On nous a fait savoir que cette fontaine millénaire qui existe depuis la nuit des temps s’appelle El Moumadha. Sur le chemin de terre qui même au cimetière, on tombe en arrêt avec l’édifice mortuaire (Lemsallah).

Takhalouith, un site hautement réputé
Un coup d’oeil à gauche, les yeux écarquillés par un joyeux édifice nouvellement construit avec une architecture unique en son genre dans la région, doté de façades faïencées et d’un minaret s’etirant dans le ciel comme le donjon d’un château alsacien. Ebahis par les ornements or et turquois, un homme de passage nous dira pour mettre un terme un notre curiosité : « C’est le mausolée devant abriter les ossements des deux héros, Cheikh Aheddad et son fils Aziz ». Plus bas, l’école primaire du village, construite et opérationnelle depuis quelques années sert aussi de lieu de restauration et d’accueil des délégations qui se rendent en pèlerinage dans ce village.Laissant derrière nous cette merveille, nous continuons notre itinéraire en découvrant l’ancienne forteresse inexpugnable se languissant au soleil printanier malgré le froid qui règne ce jour-là, nonchalante, superbe et si fière, qu’elle semble narguer les visiteurs en leur taisant son secret que seules ses maisons séculaires, certaines tombées en ruines d’autres rafistolés, semblent connaître. L’intérieur de la citadelle est marqué par des édifices construits dans le style art ancien, d’une impressionnante architecture qui vous raconte l’histoire vieille d’un siècle et demi.A commencer par Takhalouith, un site hautement réputé pour être un lieu vénéré et adulé par les malades qui lui rendent visite pour demander la bénédiction du cheikh. Puis c’est la somptueuse maison du cheikh qui nous accueillera dans un état de restauration avec des matériaux sophistiqués. Dernier site visité l’ancienne mosquée qui a donné les premiers jalons à l’érudit Cheikh Belhaddad. En effet, c’est dans cette mosquée fondée par son père, imam du village, qu’il a commencé des études coraniques qui le mèneront à l’institut Sidi abderrahmane d’Akfadou où il s’était perfectionné davantage.

La malvie pourtant
Pour celui qui se rend pour la première fois à ce village, il ne le verra peut être que sous son aspect historique et touristique et, de par la tranquillité et les paysages qu’il découvrira probablement, il ne s’empêchera pas de qualifier l’endroit édénique d’idéal pour la détente et qui pourrait même faire oublier un temps soit peu les tracasseries de la ville, paradoxalement à celui qui a élu domicile sans ambages, vous racontera toute l’aigreur d’une malvie qui frappe de plein fouet la population, particulièrement les jeunes qui, par manque de perspective d’emploi et de loisirs, fuient leur bourgade à la recherche du bien-être qu’ils ne trouvent qu’ailleurs. Les habitants, qui ne vivent que du travail de la terre et des pensions de retraite, font face à un problème de taille qu’est le manque d’une piste agricole pouvant leur faciliter l’accès à leurs champs par des moyens carrossables car tout le monde sait que l’usage du mulet se raréfie, s’il n’est pas révolu, et qu’on ne vit plus au Moyen Âge pour faire rentrer les récoltes sur le dos des humains quand d’autres moyens existent. Les pouvoirs publics ont fait leur devoir en leur accordant un projet d’ouverture d’une piste agricole, laquelle est réalisée sur 2.5 kilomètres mais arrivée à 20 mètres du village, et il vu reste qu’une seule parcelle de terre a franchir, laquelle appartient à un enfant du village qui s’est opposé fermement au passage de cette piste à travers son champ, privant ainsi toute la communauté de l’usage de celle-ci, réalisée pourtant à coup de centaines de millions. Ce village de 1000 habitants compte un seul commerce multiple qui commercialise tous les produits de première nécessité : bouteilles de gaz, semoule etc. Autres aléas, les deux routes qui le desservent ne sont pas aménagées de trottoirs ni dotées d’éclairage public digne de ce nom, et un café pouvant accueillir au besoin des visiteurs qui s’y rendent annuellement à ce village fait défaut au même titre que les toilettes publiques.Pire encore, les jeunes sont frappés de plein fouet par l’oisiveté, le farniente et la monotonie dans une bourgade qui demeure sans doute le seul village qui n’a pas bénéficié d’une aire de jeux de proximité bien que la commune ait bénéficié, elle, ces trois dernières années de neuf terrains de jeux. Par inadvertance ou sciemment, les autorités locales, d’une partialité qui saute aux yeux, ont ajouté des terrains à ceux qui en possèdent déjà au détriment d’autres qui en sont dépourvus totalement comme Seddouk Oufella. Une aberration injuste, qui fait que les jeunes de ce village continueront à jouer sur une petite parcelle de terre d’un privé, exiguë et dangereuse pour la pratique du football, mais ils font avec. C’est la loi des locataires de la mairie qui le veut et c’est à prendre ou à laisser faut-il encore le souligner. Toujours dans le chapitre des manques de loisirs, les villageois sont privés de l’usage de l’Internet et ne peuvent prétendre à un cybercafé pour leur épanouissement comme leurs semblables en ville.Depuis la subtilisation en 2001 du câble téléphonique du réseau principal par les voleurs, Actel a opté pour le WLL. Des demandes émanant des citoyens pour l’acquisition du matériel pour l’internet fusaient sur Actel, mais cet organisme étatique, détenant le monopole, fait aussi sa loi en se montrant intransigeant sur l’arrêt, il y a belle lurette de la délivrance des appareils pour l’Internet, justifiant cette aberration, qui pénalise à plus d’un titre les populations vivant en zone rurale, par une rupture de stock qui dure depuis des lustres. Les pauvres jeunes laissés pour compte doivent faire des dizaines de kilomètres pour aller au chef-lieu surfer. Dame nature aussi fait des siennes avec les frimas des hivers rigoureux qui font baisser le mercure. Cela engendre l’augmentation du prix de la bouteille de gaz quand elle est disponible, car parfois elle se raréfie en hiver.Les villageois estiment qu’il est temps pour les pouvoirs publics de les sortir de l’ornière par la dotation de leur bourgade d’un projet de gaz de ville. Néanmoins, les villageois ont bien apprécié le geste louable des pouvoirs publics qui ont réhabilité l’histoire dans ce village en lui allouant une cagnotte d’environ 70 millions de dinars pour la restauration des sites historiques en ruine et la construction d’un mausolée, mais ils souhaitent qu’ils continuent ce processus déjà engagé en le parachevant par le projet de gaz de ville qui leur tient à coeur et tous les autres projets d’utilité publique qui puissent améliorer les conditions de vie de la population.

 L. Beddar