Rachid Adjaoud raconte la bleuite

TRÈS PROCHE DU COLONEL AMIROUCHE
Rachid Adjaoud raconte la bleuite

 

Le colonel Amirouche chef de la Wilaya III historique

La «bleuite» a été une réponse à l’opération «Oiseau bleu» de Krim Belkacem qui a réussi en 1955 à enrôler 1500 soldats algériens, avec armes et bagages, dans les rangs de l’ALN.

Les ministères des Moudjahidine et de la Défense nationale détiennent, avec exactitude, le nombre des personnes qui ont été épurées, a déclaré en exclusivité à notre rédaction Rachid Adjaoud membre du «comité d’épuration» qui a auditionné plusieurs personnes dans le cadre de la mise à plat de la «Bleuite», action psychologique de l’armée française, qui secoua dans les années 50 les maquis algériens. «Il fallait à tout prix passer à l’assainissement des rangs de l’ALN…», a expliqué M.Adjaoud, selon lequel, en dehors de ces deux entités, aucune autre institution ni autre témoin ne peut avancer un quelconque chiffre quant aux personnes touchées par cette épuration. En fait, Rachid Adjaoud, l’un des rédacteurs de la Déclaration du Congrès de la Soummam rejoint les partisans de l’ouverture des archives de la Défense nationale. Aussi, le témoignage de ce moudjahid a été émouvant. Les séquelles de la «Bleuite» sont toujours là et, sous certains rapports, la plaie est restée béante. Les plus avertis appellent à l’implication des acteurs principaux de la guerre de Libération aux fins de réécrire objectivement l’histoire de la Révolution algérienne.
La Bleuite, Mellouza et la Nuit rouge de la Soummam sont autant d’affaires à élucider et qui continuent de susciter interrogations et questionnements de la part des historiens. La Kabylie était minée par les pièges de l’armée coloniale. La guerre battait son plein. Les services spéciaux coloniaux redoublaient d’efforts pour «pacifier» (terme employé par l’armée français) toute une région qui a symbolisé la guerre de Libération. Autant d’écrits tantôt glorifiant tantôt mystifiant ces hommes de la wilaya III historique ont été avancés. Rachid Adjaoud, qui était également un secrétaire très proche du colonel Amirouche et membre du secrétariat du Congrès de la Soummam, apporte de poignants témoignages sur la personne surnommée par l’armée coloniale le «Lion du Djurdjura». M.Adjaoud remet les pendules à l’heure, remettant en cause les thèses qui ont été avancées sur la personne du colonel Amirouche, cité comme instigateur de sanglantes et «fratricides» épurations dans les rangs de la Wilaya III historique. «Le colonel Amirouche n’a aucune responsabilité avec les affaires de Mellouza ni avec celle de la Nuit rouge de la Soummam et la thèse de Ali Kafi est complètement fausse», affirme aujourd’hui Rachid Adjaoud.
Le lieutenant Rachid Adjaoud tente par ailleurs, dans son témoignage vivant, d’élucider une des plus grandes affaires qui continuent de susciter les interrogations des historiens, la «Bleuite». Cette machination diabolique était la création de Alain Léger, capitaine du 1er Régiment de parachutistes étrangers, passé maître dans l’art de la manipulation psychologique. En Indochine, le capitaine Léger a été un vrai simulateur des opérations réussies là où ses prédécesseurs ont échoué. Appelé en Algérie pour semer la zizanie dans les rangs de l’ALN, Alain Léger, monte son coup, qui a été éventé par des responsables de la Wilaya III historique et le réseau qu’il a mis en marche à partir d’Alger a été démantelé et la filière remontée. La disparition énigmatique du lieutenant politique Hocine Salhi a intrigué plus d’un parmi les effectifs de l’ALN y compris le colonel Amirouche. Se rendant à Aït Yahia Moussa pour enquête, le colonel Amirouche tombe nez à nez avec Rosa Tadjer recrutée à Alger, et qui était la pièce maîtresse du réseau. Ayant à peine échangé quelques phrases avec cette femme, notamment sur les circonstances de son recrutement, le colonel de la Wilaya III s’est rendu à l’évidence qu’un complot le visait lui et la wilaya qu’il commandait.
Le pot aux roses est ainsi découvert, Rosa Tadjer accablée alors qu’elle faisait part d’une histoire déroutante. Selon Rachid Adjaoud – celui-là même qui procéda à l’arrestation de l‘espionne – Rosa Tadjer, surnommée «Matahari» a affirmé au colonel Amirouche qu’elle s’est évadée de la prison de Barberousse en escaladant ses grandes murailles pour rallier les rangs de l’ALN. Version qui, selon notre interlocuteur, ne peut tenir debout du moment que des hommes de grande valeur croupissent toujours dans la même prison sans pouvoir franchir ses fortifications géantes, ce qui fait douter de la thèse «rocambolesque» soutenue par cette femme. Ce qui, d’ailleurs a mis en éveil les doutes du colonel Amirouche qui a mis en l’échec tous les plans de déstabilisation de l’armée coloniale.
De ce fait, plusieurs questions taraudaient et hantaient les esprits quant à la décision finale d’ assainir les rangs. Un «comité d’épuration» est ainsi mis sur place, conduit par Rachid Adjaoud et Hacène Mahiouz assistés de Hmimi Oufadel et Mohand Oulhadj.
«Mohand Oulhadj a été très peiné par l’affaire de la "Bleuite" mais il fallait à tout prix épurer les rangs de l’ALN», justifie aujourd’hui Rachid Adjaoud. En fait, est-il indiqué, la «Bleuite» a été une réponse coloniale à l’opération «Oiseau bleu» de Krim Belkacem qui a pu mobiliser 1500 soldats algériens de l’armée coloniale en les enrôlant avec armes et bagages, dans les rangs de l’ALN en 1955.
L’opération «Bleuite» menée par les services de l’action psychologique de l’armée française et les services secrets français avait pour objectif de disloquer l’ALN et le FLN. Rachid Adjaoud insiste sur le fait que le colonel Amirouche n’était d’aucune manière impliqué dans les affaires qui ont marqué la Wilaya III. Concernant l’affaire de l’attaque du village de Mellouza, selon l’ancien lieutenant politique de l’ALN, la Wilaya III était alors sous la direction de Mohamedi Saïd, Amirouche étant adjoint du commandant de la Wilaya III.
Cette affaire, toujours sujette à controverses entre historiens, nécessite l’ouverture des archives pour en connaître le mot de la fin. Pour ce qui est de ce que l’on a désigné à l’époque sous le nom de «Nuit rouge» de la Soummam, cet épisode se résume, selon Rachid Adjaoud, à une affaire de moeurs, notre interlocuteur refusant d’aller plus avant, expliquant que son témoignage ne peut servir à grand-chose du fait qu’il n’était pas témoin oculaire de ces faits.

Aït Ouakli OUAHIB