SUR LES TRACES DE CHEIKH AHEDDAD

SUR LES TRACES DE CHEIKH AHEDDAD

Par Djamel Alilat

Des hommes mais aussi des femmes qui ont marqué l’histoire de la Kabylie et de l’Algérie. Figures de la résistance contre les invasions ennemies, ils sont devenus, chacun à sa manière, des légendes vivantes dans la mémoire collective du pays.
Que reste-t-il de leur passage ? Notre reporter est parti à leur recherche.

C’est le 8 avril 1871, à Souk El-Djemâa (Seddouk), au milieu d’une foule composée de plusieurs personnes, que Cheikh Aheddad a déclaré la guerre à l’occupant français.
Pour retrouver des bribes de la mémoire de Cheikh Aheddad, il faut aller à Seddouk Oufella, son village natal. Un petit village pittoresque accroché au flanc d’une montagne des Bibans. Beau comme une carte postale.
Cependant, derrière cette image d’Épinal se cache une réalité triste et difficilement admissible : la maison familiale de Cheikh Aheddad, qui renferme encore takhelouith n’cheikh, la cellule où il menait une vie d’ascète et dereclus, est dans un état plus que lamentable. C’est une ruine qui menace de s’écrouler d’un jour à l’autre. Et pour cause, ce site historique n’a fait l’objet d’aucune restauration, d’aucune attention. Pourtant, ce ne sont pas les visites officielles de ministres et autres grands pontes qui ont manqué en ce lieu. Dekkouche Bouzid, le gardien des lieux qui habite la moitié rénovée de la demeure depuis qu’il a épousé une descendante du cheikh, est formel : “Beaucoup de ministres et de personnalités sont venus ici, entre autres Ben Bella, Aït Ahmed, Ben Bitour, Mouloud Kassem n’Aït Belkacem et Kasdi Merbah, un mois avant sa mort. Ghozali aussi en tant que Premier ministre est venu. Il aurait donné 100 millions à la wilaya pour la réfection de la maison mais on n’a toujours pas vu la couleur de cet argent.”
La vieille maison est fissurée de toutes parts et le dernier séisme, celui de 2001 qui avait pour épicentre Beni Maouche, à quelques encablures de là, l’a encore fragilisée. Comme toutes les maisons traditionnelles kabyles, elle est pourvue d’un asqif qui abrite une porte d’entrée en bois massif qui permet d’accéder à la cour intérieure, afragg. La partie droite a été reconstruite en briques et parpaings. Une maison moderne s’y élève. Elle abrite la famille de Bouzid. La partie gauche, celle où habitait le vénérable cheikh, est demeurée telle quelle. Takhamt n’cheikh, taâricht avec, dans le toit, des trous béants qui laissent voir les nuages, et par terre quelques vieux ustensiles datant de plus d’un siècle et demi et qui collectent l’eau de pluie qui pénètre du toit abîmé. Juste à côté, une petite porte en bois s’ouvre sur takhelouith n’cheikh, sa cellule d’ascèse où il priait et méditait. Deux vieilles dames en tenue traditionnelle, qui se compose du dil et de la fouta, arrivent et s’engouffrent dans la maison en prononçant la formule d’usage rituelle : “S’awanuz à Cheikh Aheddad.”
Lorsque nous interrogeons notre hôte pour savoir si des visiteurs viennent encore en ces lieux, il répond que la fréquentation a beaucoup baissé. Avant, énormément de gens venaient faire la ziara. Principalement des malades et des impotents venus solliciter la baraka du cheikh. Aux plus atteints, on permettait de passer la nuit dans takhelouith n’cheikh. À en croire notre hôte, le lendemain, il y avait souvent des guérisons miraculeuses. Bouzid poursuit : “On ne peut plus permettre aux gens de passer la nuit ici, c’est trop dangereux. Voyez vous-même”, fait-il en désignant du doigt les fissures qui lézardent les murs. C’est dans cette petite pièce sombre que les Français l’ont arrêté en 1871. À 80 ans passés, il était pratiquement paralysé des membres inférieurs et avait beaucoup de difficultés à se mouvoir.
Son grand âge, son statut de guide spirituel de la tarika Rahmania et ses ennuis de santé ne les ont nullement empêchés de l’envoyer en prison pour le rôle éminent qu’il a joué lors de l’insurrection de 1871 à côté, bien sûr, de Hadj M’hamed El-Mokrani. Sur les murs extérieurs de la maison, Bouzid nous montre des traces de peinture bleue. Des ingénieurs sont venus ici pour étudier la meilleure manière de restaurer le site. Ils sont restés quelques semaines et ils sont partis pour ne plus jamais revenir. “On vient, on trace et on s’en va !”, se désole Bouzid. “Les autorités ne nous ont même pas donné un sac de ciment pour réparer.” Il note également que depuis les évènements de Kabylie, plus aucune visite officielle n’a été enregistrée ici. Triste époque où, dans une Algérie riche à milliards, des responsables politiques aux caisses bourrées d’argent oublient de sauvegarder la mémoire des géants qui ont façonné ce pays.
Naissance et mort d’une légende Cheikh Aheddad, guide spirituel de la confrérie Rahmania, à qui on doit en partie l’insurrection de 1871, a payé de sa vie son engagement pour son pays. À Seddouk, chef-lieu de commune, en face du siège de l’APC, une statue le représentant a été érigée sur une place publique. C’est ici, à Souk El-Djemaâ, que le 8 avril 1871, au milieu d’une foule composée de plusieurs milliers de personnes, qu’il a décrété le djihad contre l’occupant français. Après avoir dirigé la prière, il a jeté son bâton par terre et s’est écrié : “Inch Allah nous jetterons iroumyen en mer comme je jette ce bâton par terre !” Une déclaration de guerre sans équivoque. Il s’agissait bien de bouter le colonisateur hors du territoire algérien. 150 000 Kabyles se soulèvent aussitôt. C’est le début de l’insurrection. Une dame, que nous avons rencontrée un peu plus loin et qui tient à garder l’anonymat en se définissant comme une simple takhounith, nous raconte : “À l’âge de 12 ans, il a été envoyé par son père à la zaouïa de cheikh Abderrahmane à Ath Smaïl. Il emmenait sur son dos du sel des Ath Alloune pour les talebs de timaâmart. C’est cheikh Abderrahmane qui lui a donné la tarika.” Il est vrai que la direction spirituelle de la très puissante tarika Rahmania, fondée par Sidi Abderrahmane Bou Qobrin à Ath Smaïl dans la wilaya de Tizi Ouzou, a échu à Cheikh Aheddad en 1860, lorsque la zaouïa mère fut fermée par les Français après le rôle joué par son leader, El-Hadj Amar, dans le soulèvement de 1857.
Notre takhounith nous offre un portrait du cheikh et nous récite avec émotion un poème qu’un de ses aïeux a composé à la mémoire du cheikh : “Bel Haddad id yehyane eddine, ghar el havss ithgouine, ichouraâ di qsentina, ma nithni hekmenass assouguass mad rebbi yiguass, lamaâna ourfhimn ara.” Lorsqu’il a été jugé à Constantine au printemps 1873, il a été condamné à cinq ans de prison.
Au juge qui a prononcé la sentence, il a eu cette réponse restée dans la postérité : “Vous me donnez cinq années, Dieu ne m’accorde que cinq jours.” Le cinquième jour, il décède dans sa cellule. Il repose aujourd’hui au cimetière de Sidi Mabrouk où sa tombe fait encore l’objet de dévotions quotidiennes. Il y a encore quelques années, les khouan venaient à Seddouk Oufella par centaines. Ils remplissaient des cars entiers pour venir se ressourcer et honorer la mémoire du cheikh. À cause des circonstances pénibles et souvent tragiques que vit le pays ces derniers temps, le flot s’est tari. Le silence règne dans la zaouïa fermée et timaâmart, l’école coranique, fondée par le père du cheikh et qui n’est plus aujourd’hui qu’une école primaire.
Cheikh Aheddad avait deux fils qui ont tous deux encadré l’insurrection de 1871. Cheikh M’hand, ancien lieutenant de Boubeghla en 1851 et tel que le décrivent beaucoup d’historiens, était un homme profondément pieux et porté au mysticisme. Le cadet, Cheikh Aziz, a joué un plus grand rôle dans la direction de cette guerre. À son terme, tous les biens de la famille Belhaddad ont été séquestrés et les deux fils déportés en Nouvelle-Calédonie. Aziz ne reverra jamais son pays.

Après quelques années dans ces îles perdues du Pacifique, Aziz Aheddad, matricule numéro 2937, s’évade vers l’Australie en 1881. Ce sera la première évasion d’un insurgé d’Algérie, suivie d’autres un peu plus tard.

L’ombre immense de cheikh Aheddad a quelque peu caché celle de ses fils qui ont également joué un grand rôle dans l’insurrection de 1871. Spécialement Aziz, le cadet, dont on dit qu’il maniait aussi bien le verbe que les armes et qu’il était destiné à prendre la succession de son père. Tous les historiens qui se sont penchés sur l’insurrection menée par les Belhaddad et les Mokrani sont unanimes sur le fait que c’est l’impétueux Aziz qui a persuadé son père de lever l’étendard de la révolte. La guerre déclarée, cheikh Aziz regroupe les hommes prêts au combat et divise son armée en deux groupes de 5 000 hommes chacun. Il prend aussitôt la direction de l’un des deux groupes et le commandement des archs de la rive droite de Oued Sahel-Assif Aâbbès. Au bout de péripéties sur lesquelles nous n’allons pas nous étendre, Aziz dépose les armes vers le 30 juin 1871. Son frère cheikh Mhand l’imitera quelques jours plus tard.
Toute la famille est arrêtée et emprisonnée. Tous ses biens sont mis sous séquestre. À Constantine au printemps 1873, au procès des insurgés, Aziz présente un mémoire d’une centaine de pages qu’il adresse à ses juges pour sa défense. Il écrit : “Quant à la prison, à l’opprobre, à la mort, à la spoliation, à l’incendie et aux coups, tout cela ne ramène pas les gens à l’obéissance…” Il sera reconnu coupable et condamné à mort comme beaucoup d’autres chefs, tels que Boumezrag El-Mokrani qui avait pris le leadership de la lutte lorsque son frère le bachagha El-Mokrani est tué au combat le 5 mai 1871 à Oued Soufflat près de Bouira. Étant membre de la Légion d’honneur comme pour beaucoup d’autres co-inculpés, la condamnation à mort de Aziz sera commuée en déportation en Nouvelle-Calédonie.
Les prisonniers sont tout d’abord envoyés à Toulon et à Brest avant d’être expédiés en Nouvelle-Calédonie. Enchaînés, enferrés, affamés et continuellement malades, ils subissent une interminable traversée de Brest à Nouméa qui dure cinq longs mois. À cause des conditions de vie et d’hygiène, certains y laisseront la vie. Lorsqu’ils débarquent, enfin, les survivants ne quittent l’enfer sur mer que pour le retrouver sur terre. Leurs conditions d’exil et de détention ne s’amélioreront que petit à petit, mais ils garderont toujours la nostalgie de leur pays et de leurs familles, pour de plus amples informations, voir l’excellent livre de Mehdi Lalloui Les Kabyles du Pacifique). Après quelques années dans ces îles perdues du Pacifique, Aziz Aheddad, matricule numéro 2937, s’évade vers l’Australie en 1881. Ce sera la première évasion d’un insurgé d’Algérie, suivie d’autres un peu plus tard.
Il voyage sur de petites barques d’île en île “[…] à travers une mer affreuse […]” et arrive en Nouvelle-Zélande. De là, il s’embarque vers l’Australie et se débrouille comme il peut avec les quelques mots d’anglais qu’il apprit auprès de ses amis, les communards français, compagnons d’infortune, déportés comme lui après une insurrection réprimée dans le sang. De Sydney, Aziz s’embarque pour l’Égypte.
Le consul de France à Suez charge ses espions de lui signaler l’éventuel passage de Aziz Ben Cheikh El-Haddad. En vain. Sa présence sur le sol égyptien n’est signalée que deux mois plus tard. Il était caché sous un faux nom et se faisait appeler El-Tahar Ben Hassan. Le 5 août 1881, il part pour La Mecque pour accomplir le pèlerinage. Il s’installe là-bas, se remarie et tente de refaire sa vie. Entre-temps, l’amnistie pour les insurgés de 1871 est enfin acquise mais les autorités françaises ne veulent toujours pas entendre parler de son retour en Algérie. Aziz est jugé… l’un des chefs les plus dangereux et il faut le maintenir éloigné du pays. “Si Aziz ne doit pas rentrer en Kabylie. J’estime qu’il y a lieu de l’inviter à se rendre en Tunisie, sinon je lui indiquerai la région dans laquelle je l’autoriserais à résider en Algérie”, écrit le gouverneur général de l’Algérie. Le 22 août 1895, à l’âge de 55 ans, Aziz Aheddad décède à Paris. Venu de Djeddah au mois de juin réclamer la restitution des terres de sa famille, il s’éteignit au domicile de son ami et compagnon de déportation, le communard Eugène Mourot. Ses amis se cotisèrent pour rapatrier la dépouille en Algérie.
La dame que nous avons rencontrée à Seddouk Oufella a, cependant, une autre version : “À Paris, il est rentré à l’hôpital pour un simple bouton. Là, ils se sont rendu compte qu’il s’agissait de cheikh Aziz Belheddad et ils l’ont empoisonné. Non, il n’est pas mort de mort naturelle.” Elle se lamente du fait que beaucoup de souvenirs aient été perdus ou égarés comme les lettres que Aziz écrivait à sa femme en kabyle. Elles ont été empruntées par une collégienne qui a omis de les récupérer.
Notre takhounith nous raconte encore que le jour de l’arrivée de la dépouille de cheikh Aziz au port d’Alger, des milliers de personnes s’étaient massées sur les quais. Cheikh Salah, son fils, était à ses côtés. En voyant l’autorité morale dont jouissait encore Aziz au vu de l’énorme foule qui avait afflué de partout, les autorités coloniales ont eu peur d’un autre soulèvement s’il venait à être enterré chez lui à Seddouk en Kabylie où la confrérie Rahmania était toujours très puissante et le ressentiment envers les Français encore très vif. Il a alors été inhumé à Constantine aux côtés de son défunt père, au cimetière de Sidi Mabrouk. Cheikh Aziz, mort ou vivant, était un danger pour la France.

Par Djamel Alilat
paru dans ‘Liberté’

Reportage (Editions du 24 et 25/5/2004)

La Tarika Rahmania

Devoir de mémoire
La Tarika Rahmania

De : Tahar HAMADACHE
Date : Lundi 7, Juillet 2003 23:26
Objet : Devoir de mémoire : La Tarika Rahmania
lu in : http://www.jeune-independant.com, édition du
08 juillet 2003

Devoir de mémoire
La Tarika Rahmania

J’ai lu le 19 juin 2003, avec beaucoup de plaisir et d’émotion, le billet «Patrimoine» publié dans les
colonnes du Jeune Indépendant, page 19, à la gloire de la Tarika Rahmania, tarika créée par le très illustre cheikh Abderrahmane Boukabrine.

Par Larbi Alilat

Enfin des personnalités respectables décident de faire revivre l’histoire d’une tarika éminemment populaire fondée à Alger mais qui, très vite, pour garantir la liberté de ses décisions et de ses actions, alla s’installer dans le Djurdjura… au milieu d’un peuple que Sidi Abderahmane Boukabrine savait toujours prêt aux plus belles actions pour la gloire de la patrie et la grandeur de la foi du Prophète sidna Mohamed (QSSSL)… foi greffée sur l’antique tronc amazigh.

Elevons le débat et soyons véridiques : notre peuple assurait la bonne marche des zaouias, nourrissait et habillait les nombreux talebs venus de toutes les régions d’Algérie : j’insiste sur ce point car la
tarika a, bien sûr, une vocation théologique mais aussi une vocation nationale et ses zaouias
prolifèrent de la frontière tunisienne aux contreforts ouest de l’Ouarsenis… avec des percées vers le sud.
Cheïkh Mohand Améziane Ahadad succède à son maître cheïkh Abderahmane. En 1830, quand la France envahit l’Algérie, c’est cheïkh M’hand, Cadi, fis aîné de cheïkh Ahadad, qui prit, en relation avec le glorieux Hadj Ahmed Bey de Constantine, la direction de la guerre de résistance à l’invasion étrangère à partir des cols du Djurdjura, dans les montagnes qui entourent la Soummam. En 1848, après la reddition de l’émir Abdelkader, Boubeghla, soldat de l’émir et fils d’un mokadem de la tarika, à Aïn-Defla, sur conseil de son père, rejoint les rangs des combattants de cheïkh M’hand.

Cheïkh M’hand lui fit construire une maison sur un site que se disputent jusqu’à ce jour les aârchs ath
Idjar (Tizi Ouzou), ath Mansour, ath Oughlis (Béjaïa). Il le maria à une femme des ath Idjar, lui recruta des jeunes à qui il donnera une instruction militaire analogue à celle qu’il reçut avec Abdelkader.
Boubeghla combattra à l’appel des mokadems partons des deux côtés des cols qui unissent la Kabylie médéenne (dirigée par le bey de Médéa, rallié à la France) et la Kabylie constantinoise (dirigée par le glorieux Hadj Ahmed)… Les contingents des aârchs étaient, naturellement, toujours à sa disposition.

Il tomba au champ d’honneur en 1857 selon certains, en 1858 selon d’autres, donc, dix ans après la reddition d’Abdelkader. La Revue africaine (française) qui publia sur cette mort plusieurs thèses insiste sur l’assassinat de Boubeghla par «Lakdar», caïd des Ath Melikèche, frère du bachagha Mokrani de Medjana, en décembre 1854.

Boubeghla eut des enfants qui se réfugièrent à Draâ El-Mizan. Un de ses descendants fut interné au camp de Bossuet pendant la guerre de libération. Après sa disparition, la région qui deviendra plus tard la wilaya III connut des défaillances, des trahisons mais aussi des périodes de résistance admirables. La tarika se consacra énergiquement à son œuvre théologique, ce qui lui permettait de maintenir une certaine discipline au milieu du peuple, un peuple qui subit continuellement les exactions de l’armée française, secondée par ceux qu’on appelait «colonialistes» et, hélas, par certains potentats algériens dont il estinutile de donner les noms : nos masses les connaissent.

Napoléon III, empereur des Français, en visite officielle, fit à tous les responsables de notre pays
la promesse solonnelle de créer en Algérie un royaume « arabe».

Cette nouvelle politique du souverain français ne désarma pas les colonialistes ni, hélas, nos
potentats. Au contraire, leurs exactions s’intensifièrent même quand, dans les années 1860, une
terrible famine s’abattit sur nos frères des Hauts Plateaux (de Sétif à M’sila).

A l’appel du cheikh, nos frères des Hauts Plateaux se réfugièrent dans la vallée de la Soummam et les
montagnes qui l’entourent, la solidarité de la population fut admirable. La tarika et les chefs des
tribus, y compris certains potentats, s’endettent auprès des usuriers de Constantine et d’Alger pour
sauver nos frères.

Parce que les exactions de l’armée française ne cessaient pas, même après les promesses de l’empereur,
cheikh Mohamed Ameziane fut convaincu que la guerre contre la France était inévitable. Il envoya des
é missaires dans toutes les régions contrôlées par la tarika. Il ordonna à tous les mokadems, y compris ceux
d’Alger, de préparer la guerre par l’approvisionnement en armes et en munitions, mais surtout par la
préparation psychologique au combat de tous les ikhouans. A un de ses mokadems défaitistes qui venait
lui reprocher de s’engager dans une guerre perdue d’avance car la France était puissante, le cheikh dit
: «Je sais que nous ne vaincrons pas mais il faut que le sang coule pour que la France sache que ce pays
n’est pas à elle.» En martelant énergiquement cette admirable réponse à ce mokadem pour le moins lâche, le
cheikh se souvenait de l’impertinente déclaration de « Monsignori Lavigerie qui proclamait qu’il fallait
é vangéliser ou rejeter vers le sud ces «barbares sarrasins». Il disait bien barbares et non berbères.
Il reprenait un terme déjà employé par Marx et Engels, pour désigner un peuple connu, admiré… craint tout
autour de la Méditerranée et dont le niveau civilisationnel était, en 1830, pour le moins égal à
tout autre. Le déclenchement de la guerre fut décidé au cours d’une réunion à Laâzib qui vit se rassembler
les chefs des aârchs et les cadres supérieurs autochtones, à l’époque collaborateurs de l’étranger.

Seul parmi les cadres supérieurs, fidèle aux décisions prises à Laâzib, le bachagha Mokrani reçut le
commandement militaire d’Akbou vers l’ouest.

Cheikh Aâziz (cheikh est un caïd désigné par le peuple) reçut le commandement d’Akbou vers l’est. Très
vite, Béjaïa fut assiégée par l’armée de Aâziz. Elle restera assiégée plus de six mois. Très souvent,
cheikh Aâziz, laissant son armée aux ordres de ses adjoints, allait rejoindre le bachagha pour l’aider à
mobiliser au nom du cheikh les masses quelque peu réticentes. Le bachagha Mokrani fut assassiné par l’un
de ses hommes d’une balle dans le dos pendant une de ses prières. Des plaisantins disent que c’était,
peut-être, pour venger Boubeghla mais, non, c’était uniquement pour exécuter des ordres des colonialistes.

La guerre prit fin, cheikh Ahadad, ses deux fils et de nombreux autres cadres du soulèvement furent arrêtés,
les plus belles terres des régions les plus riches furent spoliées. Notre peuple vit de très nombreux de
ses enfants moudjahidine quitter leurs aârchs pour fuir l’humiliation.

Le comportement des prisonniers suscite l’admiration de tous ceux, y compris des Français, qui assistèrent
au procès.

Le 3 avril 1873, j’écris bien 1873, devant le tribunal militaire de Constantine, le juge qui interrogeait
cheikh Aâziz Belhadad, lui suggéra de déclarer qu’il était charif, donc arabe. Saluons l’admirable réponse
qui fut la sienne : «Je suis originaire du village Aourir Ihadaden de l’aârch Ath Mansour, voisin de
l’aârch Ath Oughlis. Ma famille est répartie à travers tous les aârchs qui entourent Seddouk (Soummam) où mon
père, cheikh Mohand Ameziane, a dirigé une zaouia et la Tarika Rahmania. Je suis descendant du peuple qui
vivait sur cette terre au temps des Romains.

Seulement, je suis musulman donc héritier de la pensée du Prophète (QSSSL). Etant héritier du Prophète, je
suis un amazigh charif. Cheikh Aâziz était convaincu qu’il traduisait la passion de tous les hommes qui ont
combattu avec lui.

Par quelle conclusion clore ce billet sinon enreprenant le texte qui terminait mon billet.

«La mode des «fondations» ? Basta», publié le 29 février 2000 par le Jeune Indépendant :

«Tous les Algériens répondirent présents à cette guerre du désespoir. De l’ouest à l’est du pays, tout
notre peuple entendit l’appel du djihad lancé de Seddouk, dans la Soummam, par le responsable de la
tarika. Les premiers coups de feu furent tirés à Souk-Ahras. Cela nous permet d’écrire sereinement que
1871 n’est ni à Mokrani, ni à Belhadad, ni à Seddouk, ni à la Kabylie, petite ou grande. 1871 est la gloire
de tout notre peuple, c’est lui qu’il faut fêter pouravoir répondu présent à ce rendez-vous de l’histoire
et de l’honneur».

L. A.

Algériens du Pacifique, les déportés de Nouvelle-Calédonie

Algériens du Pacifique, les déportés de Nouvelle-Calédonie”,
de Mehdi Lallaoui
La traversée de l’enfer
Par Hamid Arab
Source : Liberté du 6 juin 2001

L’idée de déporter tout le peuple algérien, ou une partie, a germé dans la tête de certains officiers supérieurs français bien avant 1871.

Le naufrage de la mémoire concernant les déportés du soulèvement de 1871 et de celui des Aurès, est vraiment abyssal. Ainsi, comment expliquer que les rares sources historiques ayant fait référence à eux se résument aux écrits produits par les déportés de la Commune et quelques rares correspondances officielles.

À ce titre, le silence entretenu sur les conditions inhumaines qu’ont endurées ces hommes n’est nullement innocent, surtout si l’on sait que l’idée de déporter tout le peuple algérien, ou une partie, a germé de la tête de certains officiers supérieurs français bien avant 1871.

Ainsi, le colonel Montagnac, voulait déporter tous les Algériens aux îles Marquises ! Rien que ça ! comme si les extermination massives et les enfumades ne leur suffisaient pas.

Pour en revenir au livre publié par Mehdi Lallaoui chez Zyriab, Algériens du Pacifique, les déportés de Nouvelle-Calédonie, il constitue avant tout un document unique en la matière dans la mesure où il nous retrace très simplement le chemin parcouru et les affres subis par ces Algériens condamnés à une réclusion hors du temps et de l’espace.

Pour retrouver le bout du fil et dérouler la pelote de l’histoire de ces exilés du bout du monde, Mehdi Lallaoui a eu à chercher dans les récits et journaux de leurs compagnons d’infortune, les vaincus des barricades de la commune de Paris qui écrivirent beaucoup sur leur déportation.

Le séisme révolutionnaire commence un certain 8 avril 1871 à Seddouk, à la faveur de la rencontre du grand maître de la confrérie Rahmania, Cheikh Ahaddad et El Mokrani.

Ensemble, ils appellent à la révolte contre le spoliateur français. Les premiers mois, El Mokrani et Cheikh Aziz Ben Ahaddad allaient de victoire en victoire. Devant la formidable ampleur que prenait ce soulèvement, les militaires français ont vite fait de battre le rappel des contingents partis en France mater les communards et renversent, par là même, la vapeur.

La répression était terrible. Vaincus, les révoltés subissent le revers morbide de la défaite. Quelque 130 chefs de la rébellion ou de grandes famille sont condamnés à la déportation en Nouvelle-Calédonie.

Cette sentence est restée proverbiale dans l’imaginaire populaire algérien. A ce stade du livre, Mehdi Lallaoui va au fond de son récit et raconte comment la machine militaire française a décimé des milliers d’Algériens et envoyé les autres à l’autre bout du globe. “La nuit approche, sombres et silencieux les vaincus d’Algérie et le vaincu de la Commune, assis assis côte à côte, pensaient à eux, à ceux qu’ils laissaient, à l’effondrement de leur existence, à l’anéantissement de leur rêve de liberté…” écrit Jean Alleman, déporté de la Commune, qui partagea à Toulon la même cellule que les insurgés de 1871. Les déportés sont acheminés à partir du Fort Quélern à Brest ou de Toulon. La traversée de deux océans et de plusieurs mers sera fatale pour certains.

Pour illustrer les conditions éprouvantes dans lesquelles ils ont “voyagé” , Mehdi Lallaoui reprend, à juste titre, le carnet de bord du médecin major Dubuquois :
” 1 405 personnes à bord, 320 condamnés dont 39 Kabyles (…)”. Sur ces derniers “il y a 5 décès”. Du fait d’une nourriture inadéquate, car les preux chevaliers algériens pour des considérations religieuses ne mangeaient pas comme les autres, Le scorbut et la gangrène ont fait des ravages parmi eux. “Il se sont volontairement laissés mourir”, écrit Dubuquois.

Le désarroi de ces hommes fut incommensurable ; à mesure qu’ils s’éloignaient de leur patrie, semblait s’éteindre en eux la flamme de la vie. Après 140 jours environ, une nouvelle vie les attendait en Nouvelle-Calédonie. Aux côtés des droits communs et des communards, ils se réorganisent. “Un matin, dans les premiers temps de la déportation, nous vîmes arriver dans de grands burnous blancs, des Arabes déportés pour s’être eux aussi soulevés contre l’oppression”, écrivain Louise Michel dans ses mémoires. Pour ces hommes l’enfer n’était pas loin.

Cependant, des faits peu glorieux seront commis par les héros de 1871, ce que l’auteur n’essayera pas d’expliquer. En effet, lorsqu’en 1878 éclate l’insurrection canaque, Boumezrag Mokrani avec quelque “40 condamnés arabes” choisit de s’aligner avec son oppresseur pour réprimer la révolte canaque.

L’auteur reviendra longuement sur le rôle joué par les communards après leur amnistie afin de faire bénéficier les Algériens des mêmes droits qu’eux. Mais peine perdue. Si certains sont restés là-bas et y ont pris racines, Aziz Ben Ahaddad prit la fuite en direction de Sydney avant de rejoindre la Mecque.

Le hasard de l’histoire a fait qu’”au moment où s’embarquèrent de Nouméa une poignée de déportés”, le 22 août 1895, Aziz Ben Ahaddad s’éteint à Paris. Quant à Boumezrag Mokrani, il regagnera le pays en 1904. Avec ce livre, c’est immersion totale dans l’une des pages les plus sanglantes de notre pays. Algériens du pacifique a le mérite, et non des moindres, de lever un coin du voile qui entoure l’histoire nationale.

Hamid Arab

Enfantines

Enfantines

Je vous fais découvrir, un numéro de la revue ENFANTINES, publié en 1946 intitulé “Purs mensonges” et dans lequel, des élèves de l’ école CHEIKH BELHEDDAD, anciennement “ECOLE FRANCO MUSULMANE DE SEDDOUK OUADDA”racontaient des histoires, des contes que nous racontaient jadis nos grands mères autour d’ un Kanoun pendants les glaciales nuits d’hiver.Ces élèves dont leur noms de familles nous sont familiers, BOUDRAA Nacer, MOHLI Bezza, CHERDOUD Mustapha, MEDDOUR Hocine, BEDDAR Saadi et TAOUZINTZ Mohand, étaient j’ en suis persuadé des plus brillants de leur classe, mais le contexte et les conditions de l’ époque ne leur permettaient pas de dépasser le cap du certificat de fin d’ étude, le couronnement du cursus scolaire pour un élève indigène.Rare étaient ceux qui accédaient au collège, et encore moins au lycée et à l’université.C’etait ainsi le régime colonial.

Que sont devenus ces élèves ?cette question peut constituer un bon sujet sur le Forum , merci de participer .

Merci à Freinet pour cet extrait