Insurrection de 1871:Grandes festivités à Seddouk

Insurrection de 1871:Grandes festivités à Seddouk

Il y a 135 ans, El-Mokrani et cheikh Belhadad soulevaient la Kabylie contre le colonialisme Français. Un riche programme pour la célébration de cette insurrection est prévu à Seddouk, région natale du cheikh Aheddad, à compter d’aujourd’hui. Cet évènement-phare de la lutte du peuple algérien pour le recouvrement de son indépendance s’étalera sur une semaine pleine.

Depuis que le système colonial, pour s’emparer d’un maximum de terres, a mis sa machine répressive en branle contre la paysannerie algérienne qu’il a dépossédée, par des moyens illégaux, de ses meilleures terres situées sur les riches plaines et terroir, afin d’installer par voie de conséquence un grand nombre de colons européens sur de grands périmètres agricoles, toutes les régions du pays ont répondu par des soulèvements populaire dont le plus important était incontestablement l’insurrection d’avril 1871 menée par les Mokrani d’At Abbas auxquels s’étaient joints les cheikhs Belhadad de Seddouk. Ce soulèvement réputé pour avoir mis en péril tout le système colonial était l’apanage des tribus paysannes de la vallée de la Soummam galvanisées par la foi et la détermination à vaincre ou mourir devant un ennemi déterminé aussi à asseoir sa domination par la force. De ce fait, son ampleur avait embrasé toute la Kabylie et avait gagné les régions limitrophes de l’Est et de l’Ouest. Les causes principales qui l’ont engendrées étaient d’abord l’oppression et l’arbitraire d’un demi-siècle d’occupation, aggravées par la misère induite par trois années de sécheresse et d’invasion de criquets (1866 à 1869) conséquences de la mort par milliers dans les rangs des populations paysannes ruinées par l’administration coloniale qui ne voulait même pas leur venir en aide et meurtries par la famine, auxquels était venu s’ajouter le décret Crémieux de 1870, objet d’une discrimination, qui a accordé aux juifs d’Algérie le privilège d’accès à la nationalité française et aux droits qui en découlent. Ainsi, les ingrédients d’une révolte étaient bel et bien réunis et le coup de stater avait été donné le 16 mars 1871, par Mohamed el Mokrani qui, à la tête d’un bataillon, déclara la guerre à l’armée coloniale en signant le premier attentat contre une caserne militaire à BBA. Pour propager l’insurrection, il fit appel à cheikh Mohand Améziane Belhadad de Seddouk, comptant sur le charisme dont il jouissait dans la région pour soulever les masses populaires déjà très affectées. La bataille qui avait fait rage pendant neuf mois s’était soldée par la mort d’un nombre incommensurable de personnes dont Mohamed El Mokrani, tué à Bouira le 05/05/1871, la déportation vers la nouvelle Calédonie d’environ un millier de chefs de guerre dont les Cheikhs Aziz et M’hand Belhadad ainsi que Boumezrag El Mokrani et enfin l’incarcération à Constantine de cheikh Mohand-Améziane Belhadad, ville où il mourut et fut enterré.
A la fin des hostilités, la région était pacifiée par la force par l’occupant colonial. Ainsi, la défaite des masses paysannes fut accompagnée de graves conséquences sur les populations en zone rurales, qui étaient sujettes à de nombreux châtiments inhumains aux effets durables dans le temps et l’espace. Parmi ces châtiment, les punitions les plus répressives furent d’abord celles qui imposaient aux tribus qui ont participé aux hostilités à verser de fortes amendes de guerre et qui étaient fixées à 70 f par fusil pour celles qui avaient seulement sympathisé, 140 f pour celles qui avaient pris part et 210 f pour celles qui avaient déclenché cette guerre. Autre conséquence, la généralisation des confiscations des biens et de grands périmètres de terres fertiles qui étaient redistribuées aux nouveaux colons.
Après l’indépendance du pays, la qalaa d’At Abbas, berceau de ce soulèvement, a été abandonnée à son triste sort et la plupart de ses habitants ont opté pour un exode vers les villes. Sur les 1500 habitants que comptait le village avant l’indépendance, aujourd’hui, il n’en reste qu’une centaine à supporter les affres d’une vie difficile faite de dénuement, de chômage et d’absence de toute perspective de développement. Les déboires des villageois sont multiples, en témoignent-ils : “la route principale qui mène au village est dans un état piteux et souvent obstruée par les chutes de pierres qui isolent parfois les populations pendant plusieurs jours, les pannes dans la distribution de l’eau sont récurrentes notamment en été où les villageois restent des semaines sans ce précieux liquide, le transport scolaire est assuré insuffisamment par l’unique fourgon acquis par l’association locale, et la liste des insuffisances n’est pas exhaustive”. Autre aléas qui rentre en ligne de compte : les villageois s’interrogent sur le pourquoi de la commémoration des festivités de l’insurrection uniquement à Medjana dans la wilaya de BBA, et non pas conjointement avec le village natal des Mokrani ou repose le leader de l’insurrection Mohamed El Mokrani, la qalaa d’At Abbas, commune d’Ighil Ali dans la wilaya de Béjaia. Ce village mythique et légendaire mérite d’être réhabilité et classé patrimoine historique eu égard à son passé glorieux avec dotation d’un musée pour conserver tous les objets ostentatoires se rapportant à l’épopée de cette forteresse. Par ailleurs, la maison des Mokrani, totalement effondrée mérite d’être aussi restaurée comme tout d’ailleurs le bunker, selon les villageois, qui a servi jadis d’armurerie et de poudrière. La maison du cheikh Belhadad située au village de Seddouk Oufella, dans la commune de Seddouk a subi le même sort. Totalement tombée en ruine, il a fallu la générosités des populations des villages de Seddouk Ouadda, Tibouamouchine, Takaatz et Ighil N’djiber, pour ne citer que ceux-là, avec la contribution des Khouans de Tizi Ouzou et d’Alger, qui ont conjugué leurs efforts pour reconstruire une partie de la maison du Cheikh. Pour cela, l’un des petit-fils des Belhadad, le seul vivant encore à Seddouk Oufella, a toujours boycotté les visites des officiels de l’état et ne cesse de rendre un vibrant hommage aux citoyens. “Je continuerai à boycotter les visites des officiels tant que l’Etat n’entreprendra rien pour restaurer notre ancienne maison, par contre, les citoyens d’où qu’ils viennent seront toujours les bienvenus”, répète à chaque fois si Abdelhamid à qui veut bien l’entendre. Thakhalouith aussi, malgré le nombre incalculable de personnalités officielles et politiques qui l’ont visitées. Plusieurs constatant son état d’effondrement lamentable, avaient avancé sur le champ des promesses de subventions pour sa reconstruction lesquelles ne sont jamais suivies d’effet. Il avait fallu attendre l’année 2005 pour voir enfin les pouvoirs publics réagir par un projet de restauration dans son style original d’une partie de ce site historique.
Non loin de la, un autre site historique n’a jamais attiré l’attention des pouvoirs publics. Il s’agit des ruines de l’ancien village de Seddouk Ouadda englouti par un cataclysme, semble-t-il. Des matériaux anciens et des objets ostentatoires avaient été déterrés par les propriétaires du sol et exposés au siége de l’association Azar de Seddouk Ouadda dont un des anciens responsables a affirmé avoir saisi par lettre, en 1993, la Direction de la culture de Béjaia l’informant de la découverte de ces vestiges historiques. A ce jour aucun chercheur n’a été dépêché pour élucider la période et la population qui a été décimée. “Nous souhaitons que cette fois-ci la venue des ministres sera bénéfique pour la région et ça sera l’occasion ou jamais pour nous de leur en parler et de leur montrer ces objets”, dira ce dernier. Néanmoins, les pouvoirs publics ont organisé une cérémonie grandiose à l’occasion des festivités marquant le premier centenaire de l’insurrection en 1971. La fête qui a duré un mois a été ponctuée par les visites à seddouk d’un panel de ministres et d’une panoplie de personnalités politiques. Mais depuis, les manifestations marquant cet évènement, le moins que l’on puisse dire, étaient reléguées à de simples manifestations folkloriques au point où beaucoup de Seddoukois se demandent d’ailleurs pourquoi les festivités étaient organisées par le passé uniquement par la population du village de Seddouk Oufella alors que dans la logique des choses, c’est à la municipalité de Seddouk, sous l’égide de la wilaya, qu’échoit le rôle et le devoir d’organiser une manifestation d’une telle envergure qui mérite d’avoir un cachet national.

Pour une Fondation Belhadad
Pour cela la communion avec l’ensemble des populations de la commune, voir même de la daïra, et pourquoi pas de la wilaya ou de toute la kabylie, pour vivre ensemble une journée mémorable, festive et conviviale serait l’idéal pour bien honorer la mémoire de celui qui a transcendé les clivages tribaux un certain 08/04/1871 en réunissant des milliers de fidèles sur la placette de Seddouk pour les exhorter à combattre l’oppresseur colonial.
De ce fait, cette année les organisateurs, qui ont peaufiné un riche et varié programme qui va durer une semaine avec à la clé plusieurs manifestations culturelles et sportives et les visites à Seddouk de plusieurs ministres et personnalités politiques, historiques et autres, veulent donner un cachet particulier à cette fête qui ne peut être que grandiose de par les intenses préparatifs et les moyens mis à leur disposition par les pouvoirs publics. Celle-ci sera ponctuée par la création d’une fondation, projet qui commence à tarauder dans l’esprit des Seddoukois particulièrement les plus proches de la famille Belhadad qui pensent que la grandeur d’un tel soulèvement ne peut être limitée à l’avenir à de simples fêtes folkloriques organiser chaque année au niveau du village, mais dorénavant ce seront des manifestions dignes de ce nom que se doivent d’organisées les pouvoirs publics qui ont les compétences et les moyens. Aussi, les buts recherchés dans la création de cette fondation seraient le rappatriement des restes des ossements de Cheikh Md Améziane Belhadad et de son fils Aziz qui reposent au cimetière populaire de Constantine et les archives afférents à cette page douloureuse de l’histoire contemporaine de l’Algérie “On aurait souhaité que les restes des corps de nos grands-parents soient transférées à Seddouk Oufella et qu’un tombeau leur soit érigé à Lokri, a proximité de la RN 74”, poursuit le petit-fils des Belhadad. Par ailleurs, cette fondation aura une autre mission : la création d’un musée où seront conservés les objets ostentatoires restant de cette guerre et les œuvres littéraires laissées par cheikh Belhadad, ainsi que les manuscrits et livres de tout genre consacrés à cette épopée. Ces actions s’ils venaient à être concrétisées, vont permettre en premier chef de rehausser l’image de marque d’une région pétrie par l’histoire et de faire connaître par là même aux population de la région et aux Seddoukois en particulier qui connaissent mal ou ne connaissent pas du tout les contours d’une insurrection régionale que leur aïeux ont façonné et mené. Mieux encore, cela va pallier la défaillance de la municipalité de Seddouk qui ne possède aucune archive sur ce pan de l’histoire de notre pays dont la réputation a dépassé nos frontières. Son seul mérite c’est d’avoir érigé une stèle à l’effigie de cheikh Belhadad au milieu de la rue piétonnière qui mène de la placette historique où fut proclamé le djihad, au marché de la ville.
Pour cette année les préparatifs vont bon train et la tâche est partagée entre l’association des activités de cheikh Belhadad et les notables du village. “Cette année, nous avons pensé associer l’Association des activités de jeunes de cheikh Belhadad, qui aura pour mission d’organiser une semaine culturelle et sportive au chef lieu communal (du 01 au 07/04). Pour notre part, nous n’interviendrons que durant la journée du 08 avril pour recevoir et convier à un déjeuner les délégations qui se rendront en visite à Thakhalouith. Ces festivités prendront fin le 09/04 par une journée de manifestation culturelle dans la ville de Bejaia”, dira Mohand Bouzerzour, le chargé de la communication au sein du comité d’organisation, qui abonde dans cet ordre d’idée : “Nous pensons, si ce n’est pas encore trop tard, mettre sur pied un concours destiné uniquement aux collégiens, où seront récompensés les meilleurs élèves ou groupes d’élèves qui auront réalisé les meilleures œuvres sur l’histoire que nous célébrons”.
Le printemps n’en sera que plus beau, cette année à Seddouk, avec la réhabilitation de l’histoire de toute une région .

L.Beddar

in La Dépêche de Kabylie du 31 mars 2006