Clôturé en apothéose par la projection du film de Mehdi Lallaoui , «Les Kabyles du pacifique » , qui raconte la douloureuse et inhumaine déportation des insurgés de 1871 vers la Nouvelle Calédonie, et leur rencontre avec les déportés de la Commune de Paris, le colloque international a tenu ses promesses ! Ce fut un forum citoyen où l’échange convivial, le débat serein et la création intellectuelle ont concrètement fleuri ce « Printemps des mots ».
Le colloque sur l’insurrection de 1871 a été une grande réussite, selon les participants.
Le colloque sur l’insurrection de 1871 a été une grande réussite, selon les participants.
Dirigé par la subtile poigne de Tassadit Yacine toute de finesse et de savoir faire avéré, le colloque a démarré avec les généralités requises dans la matinée du 6 mai dans cette immense salle du théâtre régional de Bgayet avec son architecture à fort poids historique.
L’émotion de l’ouverture protocolaire, des remerciements aux organisateurs et des retrouvailles a vite cédé devant l’impératif affirmé de la réappropriation d’une période charnière de notre histoire ! Nous étions là pour faire la lumière sur cette grande insurrection populaire de 1871 qui a jeté dans la culture paysanne les premiers fondements de l’algérianité, conscience qui plantée comme un arbre dans la terre aride a pris péniblement racines irriguée par le sang des patriotes, a grandi et donné ses fruits en Novembre 1954.
Ce fut Georges Morin, qui ouvrit « le feu » des mots pour dresser un tableau du contexte historique de cette épopée qui se termina par la déportation des chefs insurgés et de leurs familles vers la Nouvelle Calédonie après la condamnation à Constantine du Bachagha Mokrani, son principal instigateur. Animé par un désir assumé et constant de faire la lumière sur ce qui s’est passé en Algérie entre 1830 et 1962, le fondateur de l’association « Coup de soleil », reconstruira les principaux événements de l’année 1870 qui dans leur interaction avaient déclenché cette guerre entre deux parties aux moyens inégaux. Armé de la volonté de socialiser la production universitaire pour qu’elle atteigne la population, le président du “Maghreb des livres” dira : “La mémoire c’est souvent des blessures, il y a plus de 7 millions de Français, entre juifs, pieds-noirs, harkis, anciens militaires, liés historiquement à l’Algérie”. Ajoutant :”Pour surmonter la tragédie coloniale et construire un avenir solidaire par l’information et la culture, il faudra mettre les moyens, l’échange et le partage par le débat, la télévision, la bande dessinée, le documentaire, le livre … ! Plus on le connait moins on a peur de l’autre”.
Se réapproprier l’histoire et la mémoire
“Avec ce colloque, Bgayet va pour la première fois faire la lumière sur une période charnière de sa lourde histoire”, dira Tassadit Yacine. Partageant le souci de Georges Morin, l’anthropologue a rappelé que le but du colloque est de mettre entre les mains du grand public les résultats des recherches universitaires pour lui permettre de faire parler sa mémoire et se réapproprier son histoire. En illustrant le contexte de l’insurrection de 1871 par les chiffres et les déclarations des militaires de la colonisation française, elle convoqua certaines vérités historiques qui aujourd’hui encore nous font frémir : « 56800 Ha de terre arable séquestrés entre 1871 et 1878, 30 000 morts parmi les insurgés , 300 000 personnes touchées par la famine, les maladies, la destruction des récoltes et les incendies des arbres fruitiers, 5 milliards de francs –Or payés par les Kabyles à la France, les impôts les plus lourds de l’histoire de l’humanité…”. “Dans cette atmosphère de fin du monde qu’avait subi la population insurgée, même le moins attendu des amis de la France pouvait devenir insurgé », expliqua-t-elle pour retracer le parcours atypique du Bachagha Mokrani. Elle évoquera les travaux de Germaine Tillon pour étayer l’idée que le soulèvement paysan de 1871 constitue le départ d’un processus, la genèse du mouvement indépendantiste qui connaitra son expression ultime en novembre 1954.
Prenant le même fil conducteur, Mouloud Kourdache, doctorant en sciences sociales, ira dans les détails de la famille d’El-Mokrani, des particularismes du royaume d’At-Abbas qui s’étendait de la Medjana, au Sahara et du Hodna à Constantine, pour déceler dans l’évolution des contradictions coloniales les origines de cet immense soulèvement paysan. Il déduira de son intervention le changement de monde qu’avait opéré l’insurrection de 1871, le démantèlement de l’ordre ancien par la colonisation et les multiples résistances au tour de l’enjeu principal que constituait la possession de la terre.
Dénationaliser l’histoire coloniale
La politologue Françoise Vergès, spécialiste des logiques postcoloniales, introduira la nécessité d’une désoccidentalisation et d’une dénationalisation de l’histoire coloniale. Une vision large et transversale de la colonisation révélera la substance du même phénomène sur des espaces éloignés de milliers de kilomètres. Stigmatisant l’étroitesse du récit nativiste ou atavique elle replace les mutations coloniales dans le système économique global : «L’histoire continue à être écrite par les vainqueurs. Il faut croiser les mémoires. La colonisation est une longue histoire de prédation, une histoire d’inégalités, d’exploitation. Il y a aussi des logiques économiques à l’œuvre. Tant que l’on continuera à écrire une histoire qui se centre sur l’Hexagone, cela restera une histoire mutilée…. Les Malgaches, les Algériens, les Kanaks, etc. écriront leur histoire, mais la France aussi s’est construite avec ces chapitres. Des chapitres multiples qui interagissent entre eux. On connaît en France l’année 1871 pour la Commune de Paris, mais on ne la connaît pas pour l’insurrection en Algérie et la déportation des Algériens en Nouvelle-Calédonie. Communards et insurgés algériens étaient pourtant dans les mêmes bateaux pour le bagne de Nouméa. Et dans les territoires coloniaux eux-mêmes, il y a plusieurs mémoires. … Il faut repenser plusieurs mémoires sur un même territoire. »
“On n’a pas encore produit les concepts de la rupture avec l’histoire coloniale. Le problème de la langue usitée est une difficulté de plus pour comprendre ce qui s’est passé chez nous. Comment lire les sources de l’administration coloniale qu’il faut séparer de l’administration française ? Le problème des sources dans une culture orale complique encore un peu plus la possibilité d’écriture de notre histoire par nous-mêmes”, conclura Fouad Soufi, inspecteur des Archives relevant du CRASC d’Oran , dans sa synthèse de cette riche matinée avant que le débat public animé par l’universitaire Fatah Bouhmila n’élargisse les horizons de la soif de connaitre . Les réponses généreuses n’auront pourtant été qu’une goutte d’eau dans le désert culturel entretenu par le système de stérilisation de l’histoire et de la mémoire installé dans l’école et l’université algérienne.
Le danger du “présentisme”
L’après-midi de ce premier jour verra les interventions s’affiner et le discours autour du soulèvement se préciser et se rapprocher du cœur de l’insurrection comme si le temps s’effaçait et que nous nous sommes connectés au temps de 1871 sans nous rendre compte.
“Comment se construit l’histoire ? Comment est transmise la connaissance ? Comment sont abordées les sources” ? s’interrogea Fouad Soufi, l’historien archiviste. Il décortiqua l’insurrection de 1871 comme un archéologue qui dépoussière une ruine, il passera en revue les acteurs qu’il sema sur une géographie de la répression, relèvera les objectifs et les enjeux principaux qu’était la possession de la terre et les affrontements culturels, (langue, école , santé, religion ) qu’il isolera des détails de l’histoire même si ces derniers ont leur importance ? Il stigmatisera au passage cette tendance lourde qui s’inscrit dans l’air du temps et qui consiste à faire de la religion le moteur de l’Histoire mais aussi cette réduction de l’histoire à des oppositions entre des acteurs au lieu de rechercher l’harmonie et la complémentarité. Soufi posera la question de la visibilité des chercheurs et des historiens : ” Il faut parler de la période 1954-1962 pour se faire une petite visibilité”, regretta-t-il.
Qui a travaillé sur l’insurrection de 1871 ? L’archiviste livrera un chapelet de noms de chercheurs et de leurs travaux. Comme un journaliste méticuleux, il répondra précisément aux cinq questionnements de base d’une enquête. Quand a-t-elle démarré cette insurrection au juste ? le 15 mars, le 8 avril, la réponse n’est pas dans une date, mais dans un événement : «L’insurrection fut déclenchée le jour où le Bachagha Mokrani déposa sa lettre de démission, et que la nouvelle fut répercutée sur le pays profond ! Cette rupture dans l’ordre colonial fut la première étincelle alors que le bruit sourd descendait des montagnes et roulait dans les plaines ». Pour conclure l’historien passionné mettra la lumière sur le danger qui guette les intellectuels qui s’aventurent sur le terrain de l’Histoire et qui sans le savoir font dans le « Présentisme » en transférant dans le passé la réalité d’aujourd’hui, voulant expliquer avec facilité les maux du passé avec les mots du présent. Il illustrera cet écueil méthodologique par quelques ouvrages qui ont révisé la période de 1871. A cette déviation s’ajoute la tentation du localisme qui consiste à priver l’événement de sa dimension universelle.
Engagement et mythe du retour
Samia Messaoudi inscrira son intervention sur trois axes : l’histoire de l’émigration, celle du mouvement ouvrier et les profondeurs du contexte colonial, soulignant l’importance de l’oralité dans la construction de la mémoire. Elle remettra le public dans les flots de la déportation des insurgés de 1871 vers la Nouvelle Calédonie en narrant rapidement les conditions inhumaines de ce déracinement esclavagiste ! C’est la trame du livre qu’elle a écrit avec Mehdi Lallaoui «Les Kabyles du Pacifique ». « Mon engagement est né du mythe du retour », dira cette fille d’émigré dont le souci est de produire des outils pour rendre l’histoire plus lisible. Des livres comme « Le silence du fleuve » ou « Les massacres de Guelma et Sétif » et le film « Les Kabyles du Pacifique » sont des œuvres majeures en rapport à deux périodes de l’histoire coloniale qui nous interpellent.
Salah Oudahar, ancien professeur à l’université de Tizi-Ouzou, artiste-memorialiste établi à Strasbourg, a l’habitude et l’art de faire parler les ruines et les vestiges. Il résuma les deux interventions dans la nécessité de la transmission de la mémoire, l’incontournable écoute du legs oral parce que « La terre n’a pas tout dit ».
La première journée se termina par un « one woman show » époustouflant de la brillante comédienne Virginie Aimone du collectif marseillais « Manifeste rien ». L’interprétation mise en scène par Jérémie Beschon contracte un long ouvrage de Benjamin Stora « Les trois exils » qui raconte le triple déracinement d’une famille juive durant la colonisation française en Algérie. La stupéfiante démonstration de la comédienne fut suivie d’un débat public animé par Benjamin Stora, l’auteur du texte, Tassadite Yacine et Virginie Aimone l’interprète de la pièce théâtrale. Le débat de haute tenue tourna autour de faits historiques comme les décrets Crémieux qui accordèrent aux juifs l’accès à la citoyenneté via la nationalité française , et qui fut un des fils de la trame de l’insurrection de 1871, mais aussi par des éclairages sur la genèse de la pensée unique et celle des multiples processus d’exclusion et ceux de l’aliénation et de l’appauvrissement culturel. Par delà l’apport du quatrième art, de l’esthétique et de la poésie à la compréhension de l’histoire, le public interrogea les animateurs sur les techniques de contraction des textes aussi lourds et leur transformation en pièces de théâtre ou en films. Nous nous sommes quitté sur une vérité. « L’Algérie n’a jamais été la patrie d’une seule race, une seule langue, une seule religion ».
L’absence de Raphaëlle Branche pour raison de non délivrance de visa par le consulat algérien avait obligé les organisateurs à revoir le programme dans la soirée. Tassadit Yacine et l’artiste Nourredine Saidi ont retravaillé l’harmonisation des thématiques et le tirage des programmes à remettre au public.
Le drame dans le camp des vaincus
Le second jour ouvrit le registre des témoignages et du désarroi. Modérées par Georges Morin qui fut souvent étranglé par l’émotion, quatre interventions ont plongé le nombreux public dans les drames familiaux, les tragédies humaines, les supplices coloniaux vécus dans une atmosphère de fin du monde rendue par les patients et méticuleux témoignages des intervenants. Slimane Zeghidour, le grand reporter des zones des tempêtes dans le monde, convoqua le registre de la fable pour tirer une morale historique de cette insurrection de 1871 ! « Que reste-t-il de cet événement dans les schémas mentaux, que nous inspire cette révolte ? Tout ce que nous savons a été écrit par les vainqueurs ! La difficulté de trouver des sources internes, cette attitude de refuser de témoigner renseigne sur la mentalité algérienne. Il n’y a pas de narratif national qui fait consensus ». A côté de ses regrets, le journaliste historien tira quelques leçons de cette terrible époque en la comparant à la guerre de libération déclenchée en Novembre 1954, mais également à la révolte des Sipaïs en 1850 en Inde. Décontextualisant toutes ces révoltes, il en tira la substantifique moelle dans la dépossession des colonisés de leur terre mais aussi de l’espace vital général sur lequel ils avaient perdu l’initiative historique. Slimane Zeghidour tira une morale plurielle de cette insurrection de 1871 dont les conséquences sont encore perceptibles dans le mental des Algériens d’aujourd’hui qui ont perdu l’emprise sur leur espace vital. « Le déracinement colonial continue de nos jours et l’abandon de la terre est dramatique, les Algériens sont des spectateurs passifs de leur dépossession. Le lien symbolique avec la terre a été coupé, la terre n’a plus de valeur aux yeux des Algériens. La tenure de la terre est une question non réglée ».
Au tour de Ouanassa Siari Tengour de narrer la tragédie des Ouled Aïdoune dans la région de Jijel et des drames familiaux évoqués par sa grand-mère autour de l’année de Boumezrag. A travers une chronologie détaillée des événements, elle parla des assemblées Chartiyas et de leur rôle de contre-pouvoirs populaires qu’Ageron rapprocha d’une pratique similaire dans la régence de Tunis dans la décennie 1850-1860 et que Mostefa Lacheraf qualifiait de cellules du patriotisme rural. Pour l’historienne Tengour, « l’urgence est de faire parler la mémoire locale orale pour aborder l’histoire des gens d’en bas pour qui l’insurrection de 1871 fut l’événement fondateur de l’identité patriotique ».
La poésie refuge après la fin du monde
Abdelhak Lahlou aborda la thématique poétique pour lire l’insurrection de 1871 dans le discours des aèdes de cette époque de fin du monde. Il reconstruisit patiemment le décor de l’insurrection à travers les textes de Smaïl Azikiw et de Si Mohand Ou Mhand. L’émotion était à son comble dans la salle. Georges Morin qui coordonnait les interventions eut les larmes aux yeux devant ce sentiment d’angoisse et de désarroi affectueusement rendu par la voix chevrotante d’Abdelhaq Lahlou, professeur de littérature française à Paris. Les mots puissants et sans concession de cet homme nous transportèrent dans le monde de la détresse et de la tragédie qui s’étaient jouées dans le camp des vaincus ! Nous apprîmes beaucoup de cette terrible intervention à travers des métaphores d’un monde qui explose, le temps de l’apocalypse, l’effondrement du ciel et la déchirure de la terre. Je crus un moment voir le fantôme de Si Mohand ou Mhand dans ses loques de l’époque survoler le silence de la salle. Des mots nouveaux avaient alors envahis notre langue faite de miel, de laine et d’argile ! Jininar (le général qui nous tuait), Jomitar (le géomètre qui mesurait notre terre saisie) Tnivonar ( Le tribunal qui nous condamnait) et Siqis, le séquestre qui broyait nos âmes et aveuglait nos horizons.
Rachid Oulebsir, le quatrième intervenant, un journaliste écrivain , porta encore le trouble du public au paroxysme en évoquant son parcours personnel de déraciné, son besoin atavique de retourner à la terre narrant la dépossession de ses ancêtres auxquels il avait fallu trois générations de travail pour racheter au prix fort leurs propres terres. Il rapporta ce qui reste de la mémoire collective de la vallée de la Soummam à travers les pratiques de l’humiliation que les supplétifs de la colonisation faisaient subir aux femmes veuves des insurgés déportés, morts ou disparus. Il convoqua la mémoire intérieure à travers une expression devenue proverbiale « Markits a lkhodja techdah » (Inscris secrétaire qu’on se souvienne qu’elle a dansé). Les jeunes veuves étaient contraintes de danser en public jusqu’à épuisement contre quelques litres de grain ! Les femmes réduites par la famine à des loques humaines cédaient au désespoir devant les corps inertes de leurs enfants terrassés par la famine et les maladies ! Le nombre de suicides était fort élevé comme en témoignent certains chants dont les lointains échos nous parviennent encore des dernières voix populaires.
Georges Morin terrassé par ces révélations tragiques eut beaucoup de mal à conclure. Ce fut une matinée où la mémoire locale prit sa revanche sur l’oubli et l’amnésie organisée.
Croisements entre la Commune de Paris et l’insurrection de 1871
Dans l’après midi, Abdelmadjid Merdaci, professeur d’Histoire à l’université de Constantine, reprit le registre de l’analyse sur les résistances anticoloniales pour en dégager des tendances lourdes, des clés de lectures croisées des colonisations à travers l’histoire humaine voire des lois. Le professeur insista sur la nécessité de détricoter l’imaginaire guerrier cultivé dans la société algérienne et remettre l’humain et ses souffrances dans l’histoire de ses résistances à l’occupation de la terre, à sa spoliation et à son abandon. Il présenta brièvement l’historien Benjamin Stora, son œuvre immense sur 40 ans de travail sur l’histoire coloniale de l’Algérie, il parlera aussi de l’affabilité et de la simplicité de l’homme qu’une voix apologétique qualifia de « Patrimoine national algérien ».
“Pourquoi n’y a-t-il pas eu de réflexions sur le croisement entre la Commune de Paris et l’insurrection de 1871 en Kabylie”, s’interrogea Benjamin Stora, pour ouvrir sa longue intervention. Il abordera ces correspondances par la simultanéité des dates et des termes et tirera immédiatement une première conséquence :« S’il n’y a pas eu correspondance c’est parce qu’il y avait deux histoires différentes, une histoire française et une histoire algérienne. Il y avait pourtant des liens possibles, au déclenchement, le problème de la guerre de 1870 et l’affaiblissement de l’armée française, dans l’hésitation et la maturation des soulèvements marqués par le risque de décapitation des élites évoqué dans le livre de Hocine Ait Ahmed «Mémoires d’un combattant » et les conséquences de la défaite de la Commune de Paris et de l’insurrection de 1871, à savoir l’écrasement des insurgés et le besoin militaire de laver l’affront sur le territoire colonial entre autres.
Il eut également d’autres espace-temps de correspondances entre L’insurrection de 1871 qui signa la disparition d’un monde celui du patriotisme rural après la mort symbolique d’El-Mokrani et la commune de Paris qui avait vu la naissance de la classe ouvrière et l’émergence du cadre urbain. Les deux événements avaient généré le démarrage du mouvement migratoire vers la France pour les paysans de Kabylie dépossédés de leurs terres, et de Paris vers toute l’Europe pour les intellectuels réprimés et dépouillés de leur idéal. La question de la répression est également un lien solide entre les deux événements, Ce fut les paysans de Kabylie qui payèrent l’impôt de guerre de la France, 40 milliards de franc-or, un demi-million d’hectares séquestré, lesquelles terres furent données aux Alsaciens-Lorrains écrasés par les Allemands.
L’année 1871 fut une période cruciale dans la recomposition des forces culturelles et sociales tant en France qu’en Algérie. En France, il y eut la naissance d’une république qui se méfiait des classes laborieuses et en Algérie ce fut l’installation de l’Algérie française qui refusa la citoyenneté aux classes laborieuses. 1871 est un marqueur historique évident du passage d’un monde à un autre. Un monde nouveau où l’assimilation culturelle ne s’était pas traduite en citoyenneté politique”.
Hadj Mokrani
Benjamin Stora conclura par cette révélation : “Il y a actuellement 120 chercheurs américains qui travaillent sur l’histoire de l’Algérie soit trois fois plus que de chercheurs algériens et Français réunis”.
En fin d’après midi, la projection du film de Mehdi Lallaoui “Les Kabyles du Pacifique” nous replongea dans l’émotion sur les sentiers verruqueux de la mémoire coloniale. Terrible dramatique, inhumaine, esclavagiste ! Aucun terme ne pouvait à lui seul qualifier cette déportation, cette punition, ce châtiment pensés par des bureaucrates et exécutés par des négriers déshumanisés. Un complément de présentation autour du film fut donné par Samia Messaoudi co-auteure du livre “Les Kabyles du Pacifique”. Le débat animé par Tassadit Yacine et modéré par Wassila Tamzali prit plus d’une heure, de nombreuses personnalités à l’instar de la députée au parlement européen Malika Benarab Atou avaient retrouvé à l’occasion la précieuse tranquillité de l’anonymat. Les nombreux acteurs, organisateurs, et participants s’en allèrent chacun avec son viatique faire sa propre évaluation .Tous reconnurent la générosité du comité des fêtes de la ville de Bejaïa et son dynamique président Kamal Bouchebah, la disponibilité des animateurs de la Ballade littéraire Fatah Bouhmila, Nourredine Saadi, Madjid Menasria et leurs nombreux camarades notamment les deux étudiantes Tin Hinan Kheladi et Wafa Mokrani. Le colloque fut indéniablement, par le haut niveau intellectuel des intervenants et des participants au débat, une belle bouffée d’oxygène et un pas vers la réappropriation de la citoyenneté. Un exemple à suivre et à démultiplier.
Rachid Oulebsir
Avertissement : Cet article n’est qu’une sommaire couverture journalistique, il ne saurait remplacer une revue des actes de ce colloque d’une richesse insoupçonnée.