Comment on écrit l’Histoire : A propos de Cheikh Aziz
Mais il ya deux jours, le hasard nous a mis en présence du fils de ce Cheikh et une très brève conversation nous a permis de rectifier bien des inexactitudes plus ou moins volontaires.
Salah ben Azziz avait quatre ans, lorsque son père fut déporté.Le gouvernement l’ admit au lycée d’ Alger avec une bourse entière .Aujourd’hui , Salah ben Azziz est un beau jeune homme blond de 28 ans, parlant purement le français.Il est Khodja-interprete à la commune mixte de l’Aurès, dont le chef lieu est à Lambèse.
Salah n’a jamais revu son père.Il a su seulement que celui-ci a subi sa peine avec résignation, en Nouvelle Caledonie, attendant qu ‘un acte de clémence lui permit de renter en Algérie.
Mais lorsqu ‘il se vit excepté de l’ amnistie de 1884, les idées de fuite prirent le dessus chez lui et il n’ eut pas de trêve qu ‘il n’ eut mis la mer entre lui et lIle des Pins.
Son premier soin fut de se rendre à la Mecque.Aprè s’etre mis en règle avec ses devoirs religieux; il vint à Djeddah et la, il se présenta au consul de France.
Il faut dire qu’Azziz pouvait se recommander déjàà ce fonctionnaire de la part qu ‘étant en Nouvelle -Caledonie, il avait prise à la répression d’ une insurrection canaque.Il fut donc accueilli, non comme un forçat en rupture de bagne, mais comme une personnalité à laquelle officiellement on ne peut remettre sa peine, bien qu ‘on soit très aise d’ utiliser ses services.
Pour tout dire Azziz fut attaché au consulat, aux appointements de 400 fr.Par respect rendons -lui cette justice, cette faveur, il sut la mériter.Il facilita beaucoup les rapports du Consul avec les chefs des tribus bedouine;une fois même, il réussità rapporter le corps d’ un explorateur français, assassiné par les bandits, ainsi qu ‘une stèle, portant une inscription curieuse -stèle aujourd’hui déposée au Louvre- pour la recherche de laquelle le trop téméraire voyageur s’etait fait tuer.
La situation se prolongea ainsi jusqu’au la promulgation de l’ amnistie qui signala au commencement de cette année, l’avenement de M. Felix Faure.
Un jour Salah reçut un télégramme lui annonçant que son père, amnistié, venait de débarquer à Marseille.Il se rendait à Paris,dans l’espoir d’obtenir la restitution de ses biens, confisqués depuis 1871.
Aussitôt Salah, muni d’ une autorisation de son administrateur, partit pour Constantine et sollicita un permis pour se rendre auprès de son père, à Paris.Le Préfet ne crut pas devoir prendre la chose sur lui.Le Secrétaire généralà Alger, remplaçant M. le Gouverneur absent, fit une réponse également évasive.De guerre lasse, Salah se résigna à attendre, pour embrasser son père, que celui-ci revintà Alger.
Brusquement , un nouveau télégramme l’ informa que le Cheikh, atteint d’ une anthrax, était gravement malade.
Alors Salah télégraphia directement au Gouverneur à Paris, sollicitant, à nouveau l’ autorisation d’ embrasser au moins son père avant sa mort.
Cette fois le permis de voyage lui fut accordé; mais il lui parvint en même temps que la nouvelle du décès du Cheikh Azziz.
Salah se mit alors en route, pour aller chercher les restes de ce père qu ‘il n’ avait pour ainsi dire, pas connu.
Arrivé à Paris, il apprit que son père était mort, entouré de tous les soins désirables, au boulevard Menilmontant, dans la maison d’ un dénommé M.Moreau.
Il n’avait pas été misérable, puisqu’on trouva chez lui 4.000 francs.D’ailleurs le sénateur Isaac s’ était mis à la disposition du malade, auxquels ni médecins ni remèdes ne firent défaut.
Maintenant la maison était vide; mais il y restait un enfant de quatre ans, le dernier fils du Cheikh,Sadok ben Azziz.
Salah prit avec lui son jeune frère et tous les deux ramenèrentà Constantine le cercueil plombé, contenant ce qui restait du fameux chef des insurgés de Seddouk.
Ses obsèques ont eu lieu à Constantine: le Cheikh , aujourd’hui, repose auprès de son propre père.
Salah a repris ses fonctions de Khodja-interprete; quant à Sadok, de même que son frère, il obtenu une bourse entière au lycée d’ Alger, ou il entrera au mois d’ octobre.
C’ est une simple histoire que nous avons voulu conter, sans appréciation aucune.
Mais n’ est il pas curieux que les journaux aient poussé au noir, sur les points précisément ou il n’y avait pas lieu et qu ‘aucun n’ ait relaté la partie vraiment dramatique de cette funèbre histoire.
Guy Léon
article paru dans la Dépêche algérienne du lundi 23 septembre 1895.