Le long périple de Aziz Ahedad

Le long périple de Aziz Ahedad

par Djamel ALILAT

Des hommes mais aussi des femmes qui ont marqué l’histoire de la Kabylie et de l’Algérie. Figures de la résistance contre les invasions ennemies, ils sont devenus, chacun à sa manière, des légendes vivantes dans la mémoire collective du pays.

Que reste-t-il de leur passage ?

Notre reporter est parti à leur recherche.

Après quelques années dans ces îles perdues du Pacifique, Aziz Aheddad, matricule numéro 2937, s’évade vers l’Australie en 1881. Ce sera la première évasion d’un insurgé d’Algérie, suivie d’autres un peu plus tard.

L’ombre immense de cheikh Aheddad a quelque peu caché celle de ses fils qui ont également joué un grand rôle dans l’insurrection de 1871. Spécialement Aziz, le cadet, dont on dit qu’il maniait aussi bien le verbe que les armes et qu’il était destiné à prendre la succession de son père. Tous les historiens qui se sont penchés sur l’insurrection menée par les Belhaddad et les Mokrani sont unanimes sur le fait que c’est l’impétueux Aziz qui a persuadé son père de lever l’étendard de la révolte. La guerre déclarée, cheikh Aziz regroupe les hommes prêts au combat et divise son armée en deux groupes de 5 000 hommes chacun. Il prend aussitôt la direction de l’un des deux groupes et le commandement des archs de la rive droite de Oued Sahel-Assif Aâbbès. Au bout de péripéties sur lesquelles nous n’allons pas nous étendre, Aziz dépose les armes vers le 30 juin 1871. Son frère cheikh Mhand l’imitera quelques jours plus tard.

Toute la famille est arrêtée et emprisonnée. Tous ses biens sont mis sous séquestre. À Constantine au printemps 1873, au procès des insurgés, Aziz présente un mémoire d’une centaine de pages qu’il adresse à ses juges pour sa défense. Il écrit : “Quant à la prison, à l’opprobre, à la mort, à la spoliation, à l’incendie et aux coups, tout cela ne ramène pas les gens à l’obéissance…” Il sera reconnu coupable et condamné à mort comme beaucoup d’autres chefs, tels que Boumezrag El-Mokrani qui avait pris le leadership de la lutte lorsque son frère le bachagha El-Mokrani est tué au combat le 5 mai 1871 à Oued Soufflat près de Bouira. Étant membre de la Légion d’honneur comme pour beaucoup d’autres co-inculpés, la condamnation à mort de Aziz sera commuée en déportation en Nouvelle-Calédonie.

Les prisonniers sont tout d’abord envoyés à Toulon et à Brest avant d’être expédiés en Nouvelle-Calédonie. Enchaînés, enferrés, affamés et continuellement malades, ils subissent une interminable traversée de Brest à Nouméa qui dure cinq longs mois. À cause des conditions de vie et d’hygiène, certains y laisseront la vie. Lorsqu’ils débarquent, enfin, les survivants ne quittent l’enfer sur mer que pour le retrouver sur terre. Leurs conditions d’exil et de détention ne s’amélioreront que petit à petit, mais ils garderont toujours la nostalgie de leur pays et de leurs familles, pour de plus amples informations, voir l’excellent livre de Mehdi Lalloui Les Kabyles du Pacifique). Après quelques années dans ces îles perdues du Pacifique, Aziz Aheddad, matricule numéro 2937, s’évade vers l’Australie en 1881. Ce sera la première évasion d’un insurgé d’Algérie, suivie d’autres un peu plus tard.

Il voyage sur de petites barques d’île en île “[…] à travers une mer affreuse […]” et arrive en Nouvelle-Zélande. De là, il s’embarque vers l’Australie et se débrouille comme il peut avec les quelques mots d’anglais qu’il apprit auprès de ses amis, les communards français, compagnons d’infortune, déportés comme lui après une insurrection réprimée dans le sang. De Sydney, Aziz s’embarque pour l’Égypte.

Le consul de France à Suez charge ses espions de lui signaler l’éventuel passage de Aziz Ben Cheikh El-Haddad. En vain. Sa présence sur le sol égyptien n’est signalée que deux mois plus tard. Il était caché sous un faux nom et se faisait appeler El-Tahar Ben Hassan. Le 5 août 1881, il part pour La Mecque pour accomplir le pèlerinage. Il s’installe là-bas, se remarie et tente de refaire sa vie. Entre-temps, l’amnistie pour les insurgés de 1871 est enfin acquise mais les autorités françaises ne veulent toujours pas entendre parler de son retour en Algérie. Aziz est jugé… l’un des chefs les plus dangereux et il faut le maintenir éloigné du pays. “Si Aziz ne doit pas rentrer en Kabylie. J’estime qu’il y a lieu de l’inviter à se rendre en Tunisie, sinon je lui indiquerai la région dans laquelle je l’autoriserais à résider en Algérie”, écrit le gouverneur général de l’Algérie. Le 22 août 1895, à l’âge de 55 ans, Aziz Aheddad décède à Paris. Venu de Djeddah au mois de juin réclamer la restitution des terres de sa famille, il s’éteignit au domicile de son ami et compagnon de déportation, le communard Eugène Mourot. Ses amis se cotisèrent pour rapatrier la dépouille en Algérie.

La dame que nous avons rencontrée à Seddouk Oufella a, cependant, une autre version : “À Paris, il est rentré à l’hôpital pour un simple bouton. Là, ils se sont rendu compte qu’il s’agissait de cheikh Aziz Belheddad et ils l’ont empoisonné. Non, il n’est pas mort de mort naturelle.” Elle se lamente du fait que beaucoup de souvenirs aient été perdus ou égarés comme les lettres que Aziz écrivait à sa femme en kabyle. Elles ont été empruntées par une collégienne qui a omis de les récupérer. Notre takhounith nous raconte encore que le jour de l’arrivée de la dépouille de cheikh Aziz au port d’Alger, des milliers de personnes s’étaient massées sur les quais. Cheikh Salah, son fils, était à ses côtés. En voyant l’autorité morale dont jouissait encore Aziz au vu de l’énorme foule qui avait afflué de partout, les autorités coloniales ont eu peur d’un autre soulèvement s’il venait à être enterré chez lui à Seddouk en Kabylie où la confrérie Rahmania était toujours très puissante et le ressentiment envers les Français encore très vif. Il a alors été inhumé à Constantine aux côtés de son défunt père, au cimetière de Sidi Mabrouk. Cheikh Aziz, mort ou vivant, était un danger pour la France.

samedi 15 janvier 2005,