La Dépêche de Kabylie : Racontez-nous comment vous vivez votre vieillesse ?
Nna Cherifa : Je suis vieille. Je ne sers plus à rien. Voilà pourquoi personne ne cherche après moi. J’ai fait 3 fois le pèlerinage à la Mecque, je ne vous mentirai donc pas si je vous dis qu’hormis quelques coups de téléphone, personne ne se donne la peine de venir me voir. Pourtant, j’ai tant besoin de voir mes amis et ceux qui apprécient mes chansons. Je me sens vraiment seule et abandonnée. Voilà comment ma vieillesse se passe.
Pourrions-nous savoir où vous vivez actuellement ?
J’ai vécu toute ma vie à Alger. A présent, je suis une véritable SDF. Je suis partout et nulle part. C’est ma famille du bled qui est Dieu merci venue à mon secours, je ne peux vous en dire plus. Que Dieu bénisse ma famille.
Etes-vous au courant que le ministère de la Culture a promulgué une loi, accordant une pension et la prise en charge médicale pour les artistes sans ressources qui dépassent 60 ans ?
Non, je ne le savais. Croyez-vous que si je le savais je ne resterais dans cet état. Et en plus, qui me le dirait ? L’endroit où je réside actuellement est très retiré. Je suis coupée du reste du monde. Je n’ai personne qui puisse faire les démarches pour moi. Et Dieu sait que j’ai le plus grand besoin de cette pension.
Aucun de vos anciens camarades artistes n’est venu vous rendre visite ?
Personne ! Même ceux avec qui j’ai partagé des joies et des peines m’ont oubliée. Il n’y a plus de solidarité entre artistes.
Et si nous parlions de ces quelques jours de pèlerinage au village de Cheikh Belhaddad ?
J’étais sur un lit d’hôpital quand le téléphone a sonné. Une personne m’appelait pour me demander si elle pouvait venir m’emmener visiter le village de Cheikh Belhaddad, à l’occasion du 08 mars, fête de la femme. Je n’ai pas hésité une seule seconde. J’ai répondu oui. Et Dieu m’a donné la force nécessaire pour effectuer ce pèlerinage. Je suis arrivé jeudi dernier. J’ai été accueilli par Abdelhamid, le petit fils de cheikh Belhaddad. J’avais fait sa connaissance du temps où j’animais Ourar L’khalat à la RTA. Il était régisseur. Le lendemain de mon arrivée ici, vendredi matin, une foule immense est venue me voir et m’accompagner dans ma visite de la tombe de cheikh Belhaddad. J’avoue que depuis mon arrivée, la demeure d’Abdelhamid ne désemplit pas. Les gens arrivent de partout pour me voir. Le samedi, 8 mars, une cérémonie a été organisée en mon honneur. Une longue procession de femmes m’a accompagnée de la maison d’Abdelhamid jusqu’à l’école primaire. En marchant, nous chantions en chœur mes chansons et les hommes laissaient parler le baroud. Femmes et hommes filmaient et prenaient des photos. Ce fut une journée mémorable que je n’avais jamais vécue de ma vie. Tout cet amour que les gens me témoignaient m’a fait chaud au cœur. Je sais maintenant que ma cote de popularité est restée intacte. Cela faisait longtemps que je n’avais pas animé un Ourar, mais j’ai quand même bien réussi celui de samedi après-midi.
Parlons un peu de vos débuts dans la chanson, si vous le voulez bien…
J’étais orpheline. La personne qui m’élevait a fait de moi une bergère. En grandissant, je me rendais compte que ma vie serait gâchée si je restais là. J’ai décidé alors d’aller dans la grande ville qu’est la capitale. Une fois à Alger, j’ai rencontré un groupe de femmes dont Lla Yemna et Lla Zina qui m’ont emmenée à la RTA où elles se produisaient déjà. A partir de là, j’ai fait de la chanson mon gagne-pain.
Combien de chansons avez-vous à votre actif ?
Malgré le fait que je n’ai jamais été à l’école, j’ai composé plus de 200 chansons. Certaines n’ont même jamais été éditées. Mais ce sont les galas qui font vivre un artiste. Et depuis que je ne peux plus en animer, je suis sans ressources.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes chanteurs ?
Je leur dirai qu’il faut reprendre le flambeau et prendre l’art très au sérieux. Le travail est le seul garant de la pérennité de toute culture.
Interview réalisée par L Beddar
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