La Rahmaniya, de l’origine à nos jours

La Rahmaniya
de l’origine à nos jours

Le nom Khalwatiya prend son origine de la Khalwa (retraite) qui est le plus important des fondements de cette méthode de direction spirituelle qui remonte au saint Prophète ssp.

Le Caucase et l’Azerbaïdjan forment le berceau de la Khalwatiya qui s’est très vite étendue à l’Anatolie et aux provinces arabes de l’empire Ottoman. Les premiers adeptes de cette tariqa semblent avoir clairement subi l’influence de l’école Akbari de Sidi Muhi Eddine Ibn Arabi dont l’enseignement était alors très vivant à Konya.

Il semblerait que le premier disciple ayant adopté le surnom de khalwati soit Sidi Mohammed Ibn Nour El Balisi (probablement originaire de l’actuelle Tbilissi) surnommé Siraj Al Awliya (diadème des saints) et initié par Ibrahim Ezzahed. Beaucoup d’adeptes sont connus par ce surnom pour signifier leur appartenance à la tariqa dont il est classique de dire que l’un des principaux fondateurs est l’Iranien Abou Najib Sahrawardi. Cependant la fixation définitive de ses règles et de ses fondement revient à son neveu Sidi Shihabou Eddine Omar Ibn Mohammed Sahrawardi (décédé en 632 de l’hégire), auteur des Aouarif Al Maarif (les quintessences des connaissances) souvent confondu avec son homonyme Shihabodine Yahia Ibn Habach Sahrawardi mystique et philosophe néoplatonicien mort en en 587h.

Après une vie consacrée aux sciences exotériques, Sahrawardi entra en Khalwa sous la direction de son oncle Abou Najib et y demeura jusqu’à un âge avancé, puis en sortie pour propager l’enseignement de la tariqa. Sidi Mustapha Kamal Eddine El Bickri (décédé en 1162h-1748), soufi voyageur et poète, célèbre pour son Wird Essahar, initié par Sidi Abdou Latif Al Halabi (de Alep en Syrie) El khalwati, est à l’origine de l’introduction de la tariqa en Egypte. Il initia à son tour le doyen de la prestigieuse université d’Al Azhar, Sidi Ben Salem El Hafnaoui (décédé en 1181h- 1767).

Celui-ci avait pris sous sa protection un jeune Chérif originaire des montagnes de Kabylie, Sidi M’hammed Ibn Abderrahmane Ibn Yousouf Al Idrissi Al Hassani Ezzouaoui Al Azhari. Sidi M’hammed est issu de la faction des Aït Smaïl de la tribu bérbérisée des Kachtoula, où il naquit, selon certaines sources, en 1133 de l’hégire. Issu d’une famille maraboutique, il fut très tôt dirigé vers les sciences de la religion. Il étudiât dans une des zaouyate du djurdjura surnommé Montagne de la lumière (Djebel El noure), en raison du très grand nombre de centre de rayonnement spirituel et religieux que comptait cette région. Il apprit le saint Coran et les fondements de la religion auprès du Cheikh Sidi Hussein Ibn Arab des béni Iraten, qui fonda sa zaouya après son retour d’Egypte. Probablement sous l’influence de son cheikh, Sidi M’hammed fait, à son tour, le voyage pour Al Azhar et réside dans le riouak (galerie) des maghrébins. Là il se lie d’amitié avec “le petit Malik” (fameux commentateur de Khalil) Cheikh Ahmed Edderdir (1127-1207/1715-1786) qui prendra la succession du Cheikh Al Hafnaoui, à la tête de la tariqa. Par l’entremise d’Edderdir, Sidi M’hammed rencontrera Cheikh El Hafnaoui qui l’initia, dirigea sa progression dans la tariqa et le fit entrer en kalwa. Apres quoi le cheikh El Hafnaoui l’envoie pour un long périple en Inde et au Soudan où il initia, parmi d’autres, le Sultan du royaume de Drafour. Sa syaha (voyage spirituel) dans ces contrées durera six années. Puis à de retour en Egypte, le cheikh l’autorisa à repartir dans son pays. Après une absence de 30 ans, il revint dans sa faction les Aït Smaïl et fonda vers 1183 de l’hégire, la première zaouya Khalwatiya du Maghreb. Il initia de nombreux disciples autochtones dont Sidi Errahmouni auteur d’ouvrages de grammaires et de jurisprudence dans le rite malékite…

Puis, il rejoint El DjazaÏr où, dans ce qui sera plus tard le quartier du Hamma, il fonde sa grande zaouya qui rayonnera sur toute l’Algérie. Cette zaouya, accueillant les pauvres, les orphelins et les étrangers, est aussi une université où de nombreuses sciences sont enseignées. Elle devient le lieu privilégié de la Khalwa de ceux qui viennent demander l’initiation. Le cheikh aura pour disciples Sidi Abderrahmane Bacha tarzi El Kosantini qui propagera la tariqa dans le constantinois et dans tout l’est du pays, Sidi Ibn Azzouz El Bordji, Sidi Ameziane El Haddad, chef spirituel de la révolte d’El Mokrani, Sidi Ahmed Tidjani fondateur de la tariqa Tidjaniya et bien d’autres.

Il rédigea de nombreux ouvrages peu connus du grand publique, dont la plus part demeurent sous forme de manuscrits.

Lorsque le cheikh sentit sa fin venir, il retourna dans son village ou il décéda. Après sa mort un grave conflit éclata entre les rahmani d’Algérie qui, voulant le voir enterré dans la grande zaouya, volèrent sa dépouille du cimetière des Aït Smaïl, et les rahmani kabyles qui apprirent le vol. On décida de trancher ce conflit en ouvrant la tombe kabyle. Et la légende populaire affirme que l’on retrouva la dépouille telle qu’elle fut enterrée. Depuis Sidi M’hammed est surnommé Bou Quabrine (le saint aux deux tombeaux) pour témoigner d’un de ses nombreux prodiges.

La tariqa Rahmaniya continua à prospérer à travers le pays. De nombreuses zaouiyate sont fondées ici et là. La Rahmanya devient très vite la tariqa qui compte le plus d’adeptes en Algérie. Cette donnée va profondément être modifiée par l’arrivée, en 1830, des troupes françaises. La seconde moitié du XIX siècle sera un période tragique de l’histoire de l’Algérie ; elle sera marquée par la résistance farouche des autochtones à l’invasion coloniale. Très vite apparaîtra le nom de l’Emir Abdelkader comme le porteur de la bannière du Djihad. L’Emir organise la résistance et œuvre à la création d’un état moderne. Il créé des comptoirs, des manufactures, met sur pieds une organisation administrative efficace. Il s’aménage des bases arrières, notamment dans la zaouya d’un jeune guerrier lettré et rompu aux sciences religieuses qui vient le voir un jour de l’année 1844 pour prêter allégeance et se mettre sous ses ordres. Ce cheikh se prénommait Sidi Mohammed Ibn Abi Al Kacim. Il reçut de l’Emir, l’ordre de revenir dans son village et de fonder une zaouya pour former des musulmans conscients de leur devoir de djihad contre l’envahisseur chrétien. Il était originaire de la petite bourgade d’El Hamel dont la création, remontant au XI siècle, revient aux pèlerins chorfa de Djebel Rached descendants de Sidi Bouzid.

Sidi Mohammed Ibn Abi Al Kacim est né en 1239h. Apres son instruction élémentaire, il est envoyé au Djebel Ennour dans la zaouya de Sidi Saïd Ibn Abi Daoud pour approfondir ses connaissances. Il finit par y enseigner à son tour. Mais sur l’ordre de son cheikh, que les Chorfa d’El Hamel ont sollicité, il revint dans son village pour assurer la formation des enfants. Cependant et en raison de son savoir et de ses connaissances en théologie, le qotb Sidi El Mokhtar Ibn Abderrahmane Ibn Khalifa fondateur de la zaouya des Ouled Djellel, lui demande de venir enseigner dans sa zaouya un publique de tolba ( étudiants ) de haut niveau. Cheikh El Mokhtar finit par lui confier la direction de la zaouya comme principal moqadem. C’est dans cette prestigieuse zaouya que Sidi El Mohktar fait entré le cheikh en Kalwa. Sidi El Mokhtar a été initié par Sidi Ali ben Amar, fondateur de la Zaouya de Tolga. Lui-même initié par Sidi Ben Azzouz El Bordji disciple de Sidi M’hammed Ibn Abderrahmane puis à la mort de celui-ci, du Cheikh Bacha Tarzi El Kosantini.

A la mort de Sidi El Mokhtar, le cheikh revint à El Hamel ou il fonde la grande zaouya, conformément, aux vœux de l’Emir, et fait entrer les mourides en Khalwa.

Il participera activement au djihad de l’Emir par la formation de combattants à l’esprit éclairé imprégnés des valeurs de la guerre sainte. La zaouiya constituera une des plus importantes bases arrières des troupes de l’Emir. On y accueille des milliers de disciples dont le cheikh prend en charge les besoins matériels et spirituels et auxquels il enseigne les sciences religieuses telle le fikh malékite, le tawhid, le tasawouf, les mathématiques, l’astronomie, la philosophie et ses différentes branches…

La grande révolte d’El Mokrani va être à l’origine d’une mise en avant du cheikh khalwati qui, fidèle aux ordres de L’Emir Abdelkader, alors en déportation, continue modestement son enseignement. Cheikh Al Haddad, chef spirituel de l’insurrection d’El Mokrani, rédige, avant son arrestation, un testament dans lequel il recommande à ses fils et à ses disciples de rallier le Cheikh d’El Hamel qu’il nomme le soufre rouge : “Alaïkoum bil Kibrit El Ahmer”. El Haddad mourra en captivité quelque mois après son arrestation en 1290h. Les mokrani et les nombreux disciples de la Rahmaniya, qui ont échappé à la déportation, mais non moins dépossédés de leurs terres et de leurs biens regagnent El Hamel, où ils se placent sous la protection du cheikh. L’administration coloniale lui fera payer très cher ses prises de positions, mais évitera soigneusement de l’atteindre directement en raison de sa notoriété. Il sera assigné à résidence et ne se déplacera que munie d’une autorisation spéciale jusqu’à sa mort en 1315h.

La chefferie de la zaouya sera assurée après lui, par sa Fille Lalla Zineb qui continuera jusqu’à sa mort, huit ans plus tard, à assurer l’enseignement. Isabelle Eberhart écrira dans ses notes de voyages de très belles lignes relatant sa rencontre avec la sainte femme.

Plus tard un événement majeur fera de la zaouya d’El Hamel le pôle de la tariqa Rahmanya. L’administration coloniale, pour des raisons prétendument sécuritaires, interdit aux autochtones l’accès à la zaouiya de Sidi M’hammed Ibn Abderrahmane à Alger. Se souvenant de la recommandation du Cheikh El Haddad, les moqadem des zaouiyate Rahmanya se dirigèrent vers le Cheikh d’El Hamel qui est alors Sidi Mustapha père de Sidi Mohammed Al Maamoun actuel Cheikh de la zaouya. Le cheikh Mustapha imposa au gouverneur d’Alger dans une entrevue restée célèbre, la réouverture de la zaouya d’El Hamma.

Depuis lors, toutes les zaouyate Rahamniya de Kabylie commémorent cet événement une fois par ans, par une zyara (une visitation) à El Hamel où le dikhr rahmani récité par les Khouanes ( frères ) fait écho aux chants mystiques clamés en berbère par les femmes.

Extrait du site :http://membres.lycos.fr/rahmaniya/historique.phpl